Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/381

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organismes, elles ont singulièrement défiguré la notion de la conscience humaine en supprimant ce que tout le monde regarde comme étant les plus nobles privilèges de notre nature.

Quand on compare entre elles les colonies animales, on peut les ranger sur une échelle d’évolution aboutissant à cette unité parfaite de toutes les activités partielles que nous révèle dans l’homme sa psychologie normale ; on peut dire de celles qui sont le moins dominées par un centre directeur, qu’elles possèdent déjà l’unité en puissance ; les divers moments se distinguent les uns des autres seulement par la concentration plus ou moins grande qu’ils présentent ; car il n’y a, nulle part, d’élément irréductible. Par contre, on a souvent dit que nos sociétés occidentales, grâce à leur culture chrétienne, offrent le spectacle de consciences qui ne parviennent à une pleine vie morale qu’à la condition de comprendre l’infinité de leur valeur[1] ; de telles sociétés sont donc inconciliables avec l’unité que nous révèlent les colonies animales. En ramenant dans la sociologie les images sociales que la biologie a arrangées pour ses besoins, on s’expose donc à commettre de graves contresens.


II


Les historiens ont souvent signalé que les sociétés antiques étaient beaucoup plus unitaires que les

  1. Taine. Le gouvernement révolutionnaire, p. 126. Cf. Hegel, Philosophie de l’esprit, trad. franc., tome II, p. 254.