Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/42

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cile de donner une idée moins exacte des forces réelles qui font agir les hommes !

Toute cette philosophie pourrait se résumer dans cette proposition de Renan : « Les choses humaines sont un à-peu-près sans sérieux et sans précision » ; et, en effet, pour l’intellectualiste, ce qui manque de précision doit manquer aussi de sérieux. Mais la conscience de l’historien ne saurait jamais sommeiller complètement chez Renan, et il ajoute tout de suite ce correctif : « Avoir vu (cela) est un grand résultat pour la philosophie ; mais c’est une abdication de tout rôle actif. L’avenir est à ceux qui ne sont pas désabusés »[1]. Nous pouvons conclure de là que la philosophie intellectualiste est vraiment d’une incompétence radicale pour l’explication des grands mouvements historiques.

Aux catholiques ardents qui luttèrent, si longtemps avec succès, contre les traditions révolutionnaires, la philosophie intellectualiste aurait vainement cherché à démontrer que le mythe de l’Église militante n’est pas conforme aux constructions scientifiques établies par les plus savants auteurs, suivant les meilleures règles de la critique ; elle n’aurait pu les persuader. Par aucune argumentation il n’eût été possible d’ébranler la foi qu’avaient ces hommes dans les promesses faites à l’Église ; et tant que cette certitude demeurait, le mythe ne pouvait être contestable à leurs yeux. De même, les objections que le philosophe adresse aux mythes révolutionnaires ne sauraient faire impression que sur les hommes qui sont heureux de trouver un prétexte pour abandonner « tout

  1. Renan, Histoire du peuple d’Israël, tome III, p. 497.