Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1838, tome I.djvu/273

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sa voix suave et chantante, ses gracieux hochements de tête quand il jouait des colères d’enfant contre mes petites nièces, tout cela s’était gravé en moi sans que j’eusse pensé à l’observer. Je le connaissais mieux que je ne connaissais mon père, mon frère ; je le connaissais mieux que tous ceux avec qui je vivais depuis de longues années. Il me semble que j’aurais parlé pour lui, trouvé ses réflexions, fait ses gestes, tant j’étais pénétrée et pour ainsi dire vivante de cette existence qui n’était pas la mienne. Je fus épouvantée d’être ainsi en moi-même au pouvoir d’un autre ; ma fierté s’indigna d’être à la merci d’une vie en qui la mienne n’apportait peut-être aucun trouble, et la peur de n’être pas aimée me prit soudainement.

« L’amour ! Oh ! l’amour est comme toutes les puissances supérieures : tout lui sert, l’abandon et la résistance. J’aurais aimé Léon si je ne l’avais pas redouté, je l’aimais parce que je le craignis. Eh, mon Dieu ! pouvais-je ne pas l’aimer ? n’est-il pas des pentes si rapides qu’on y tombe parce qu’on s’agite pour les remonter, et qu’on y tombe