Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1838, tome I.djvu/279

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Avoir une reconnaissance pour Félix, avouer qu’il pourrait faire quelque chose d’obligeant à mon intention, cela me sembla un malheur plus grand que tous les autres. Je ne puis dire pourquoi, mais cela m’irrita, et je n’eus plus qu’une pensée, ce fut, quand la nuit serait venue, d’aller à mon jardin, de le détruire, de le ravager, pour que Félix ne me le sauvât pas ; j’aurais haï mes roses s’il les eût conservées. J’étais si exaspérée que je compris qu’on peut tuer son bonheur en des moments pareils, pour ne pas le devoir à des soins qui vous pèsent. J’attendis donc, et, quand l’heure du sommeil eut sonné pour tout le monde, je sortis doucement de la maison, je me glissai comme une fille coupable le long des allées et des massifs, et, pleine d’une émotion colère et triste, j’approchai de l’endroit où j’allais briser ces frêles arbrisseaux, mes compagnons d’enfance. Cette idée m’avait surtout déterminée : Félix était devenu pour moi l’image vivante de mon malheur, et, comme il avait éteint mes beaux rêves, j’aimais à me dire que c’était lui qui dévastait aussi