Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/134

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ne pas l’avoir commise ; j’enviais aux miens, et à Félix surtout, la consolation qu’ils éprouveraient à me savoir innocente ; je leur donnerais donc une joie pour une pudeur qu’ils ne m’avaient pas même supposée ! Cet état de colère et de fièvre était trop violent, il se calma bientôt, et la douleur vint me soulager. Je perdais Léon ; je le perdais soudainement, sans lui dire adieu, sans lui rien jurer, sans que nous nous fussions dit : Souffrons et espérons. C’était affreux ! Plusieurs fois je voulus descendre pour voir mon père, mon frère, Hortense, pour leur dire que j’étais innocente, pour leur demander de ne pas laisser partir Léon ou de me permettre de le voir : j’étais folle de douleur comme je l’avais été de colère. D’autres fois aussi je voulais sortir et aller au hasard dans la maison, dans le parc, pour le rencontrer, pour le voir de loin. Je ne l’eusse pas fait assurément : arrêtée à la première marche de l’escalier qu’il me fallait descendre, j’aurais reculé, je le sens, je le jure. Mais dans un moment où cette idée s’était tout à fait emparée de moi, je voulus sortir, ma porte était fermée ! fermée en dehors par eux !

« Oh ! que Dieu leur pardonne mon crime ! mais ils m’y ont poussée de tout leur pouvoir. Quoi ! pour une douleur innocente, je n’avais pas trouvé une consolation ; pour une douleur qui pouvait devenir coupable, pas un conseil, pas un appel à ma tendresse pour eux, pas une prière de ne pas les affliger, pas même un ordre de respecter leur nom ! Un verrou ! un verrou ! comme sur un coupable endurci ! une prison comme sur une fille condamnée ! Oh ! oui, mon Dieu, ils méritaient mon crime, et, du fond de mon châtiment, je ne puis encore en avoir le repentir ; ils me perdirent ! Prisonnière du côté de ma porte, j’ouvris ma fenêtre. Ils n’avaient pas encore emprisonné mes regards, et, malgré eux, je vis Léon, mais Léon qui partait, Léon à cheval qui passait au bout du chemin qui s’étendait devant moi. Ainsi, l’exil pour lui, la prison pour moi : tout cela en une heure ! Les bourreaux vont moins vite.

« Je ne sais ce qui l’eût emporté alors, de mon désespoir ou de mon indignation, mais tous deux auraient eu le même résultat ; je me serais jetée par cette fenêtre, si un signe de Léon ne m’eût dit : Espère ! J’espérai, et je le regardai résolument s’éloigner, bien décidée à lutter contre tous et à défendre mon bonheur par tous les moyens. À peine avais-je