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arriver à son dernier période. Ainsi le maître-clerc est presque toujours un homme assez chaud, vivant dans le monde des femmes galantes, de la bouillotte et des soupers bruyants ; le notaire de trente à quarante ans ne manque pas d’une certaine allure du monde, il joue gros jeu, loue des loges aux spectacles, donne à dîner, dit des galanteries surannées aux très-jeunes femmes, et se permet quelques escapades avec les moins chères de ces belles filles dont l’esprit ou la beauté fait scandale. Passé quarante ans, le notaire se rabat sur le whist ; il dîne pour lui, il est ennuyé du théâtre, il aime la campagne, sort à pied avec un parapluie pour prendre de l’exercice, donne des meubles à la fille de son portier, fait retaper ses vieux chapeaux, et demande la croix de la Légion d’honneur. À cinquante ans, le crétinisme arrive ; à soixante, il est complet. Le notariat est un métier insalubre, contre lequel nos savants sont invités à trouver des préservatifs. C’est un article à joindre au programme qui propose un prix pour la découverte d’un procédé qui protége la santé des étameurs de glaces et des doreurs sur métaux.

Or, il existait autrefois à Toulouse un notaire appelé M. Litois. Cet homme n’est pas mort, mais il n’est plus, c’est-à-dire qu’il n’existe plus, quoiqu’il ait soixante-cinq ans, soixante mille livres de rente et trente ans de notariat. M. Litois est l’homme-contrat. Si on l’invite à dîner, il vous répond : « J’ai contracté un autre engagement. » S’il passe chez Herbola pour en rapporter quelques friandises, il dit : « Je voudrais faire l’acquisition de cette bartavelle ou de ce coq de bruyère ; je prends cette hure de sanglier avec ses dépendances ; apportez-moi cette truite comme elle se comporte. » Du reste, il est tellement épris de sa carrière, que devenir notaire, être notaire, avoir été notaire, lui a toujours semblé devoir être toute l’ambition, tout le bonheur et toute la consolation d’un homme. Tu ne t’étonneras donc pas si, avec ces dispositions, M. Litois est resté longtemps notaire. Cependant des coliques néphrétiques, résultat d’une fidélité trop constante à son fauteuil de maroquin, l’avertirent qu’il était temps de se tenir debout, de marcher et de sortir du notariat. Il y a douze ans, il se décida à vendre sa charge. Il jeta les yeux sur son maître-clerc, M. Eugène Faynal, garçon de vingt-huit ans, spirituel, complaisant, gai, rieur et amoureux. M. Litois lui connaissait bien tous ces défauts ; mais Eugène n’avait pas le sou, et c’est pour cela qu’il le