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— Je veux dire ce que j’ai dit. C’est une histoire assez peu connue, mais que je vous raconterai un jour, s’il vous plaît jamais de publier un traité de morale humaine.

— Te voilà encore revenu à faire de la morale ?

— En ma qualité de domestique, je fais le moins de choses que je peux.

— Tu es donc mon domestique ?

— Il l’a bien fallu. J’ai essayé de venir vers vous à un autre titre, vous m’avez parlé comme à un laquais. Ne pouvant vous forcer à être poli, je me suis soumis à être insolenté, et me voilà comme sans doute vous me désirez. M’sieur n’a-t-il rien à m’ordonner ?

— Oui, vraiment. Mais j’ai aussi un conseil à te demander.

— M’sieur permettra que je lui dise que consulter son domestique, c’est faire de la comédie du dix-septième siècle.

— Où as-tu appris cela ?

— Dans les feuilletons des grands journaux.

— Tu les as donc lus ? Eh bien ! qu’en penses-tu ?

— Pourquoi voulez-vous que je pense quelque chose de gens qui ne pensent pas ?

Luizzi s’arrêta encore, s’apercevant qu’il n’arrivait pas plus à son but avec ce nouveau personnage qu’avec le précédent. Il saisit sa sonnette ; mais avant de l’agiter, il dit au Diable :

— Quoique tu sois le même esprit sous une forme différente, il me déplaît de traiter avec toi du sujet dont nous devons parler tant que tu garderas cet aspect. En peux-tu changer ?

— Je suis aux ordres de M’sieur.

— Peux-tu reprendre la forme que tu avais tout à l’heure ?

— À une condition : c’est que vous me donnerez une des pièces de monnaie qui sont dans cette bourse.

Armand regarda sur la table et vit une bourse qu’il n’avait pas encore aperçue. Il l’ouvrit, et en tira une pièce. Elle était d’un métal inestimable, et portait pour toute inscription : UN MOIS DE LA VIE DU BARON FRANÇOIS-ARMAND DE LUIZZI. Armand comprit sur-le-champ le mystère de cette espèce de payement, et remit la pièce dans la bourse, qui lui parut très-lourde, ce qui le fit sourire.

— Je ne paye pas un caprice si cher.

— Vous êtes devenu avare ?

— Comment cela ?