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Dans le peu d’entretiens que vous avez eus avec moi, vous avez pu juger des pensées qui me tourmentaient, et vous avez dû être moins surpris de ma vive exclamation et de mon violent désir de visiter cette singulière chambre. J’y étais à peine arrivé, que, par une réflexion inouïe, moi qui ne vis guère que d’illusions, je me trouvai ramené soudainement à la réalité. Je levai les yeux sur Jeannette ; elle me considérait attentivement, et son âme était, à ce que je pus croire, bien loin du respect que demandait ce lieu révéré.

Luizzi écoutait cet homme qui s’attribuait l’honneur de sa mauvaise action, tandis qu’il savait, lui, qu’il n’avait été que le jouet d’un caprice du démon. La mouche riait sur le nez de Fernand ; cependant celui-ci passa sa main sur son front d’une manière très-dramatique, et, parlant d’une voix profonde, il continua :

— Jeannette n’est point une fille ordinaire ; aussi ne puis-je savoir laquelle de toutes les voix que je fis entendre à son âme y fut écoutée. Quoiqu’on ait trouvé l’or que je lui ai donné, je ne puis croire qu’elle se soit vendue. Il y avait en elle une pensée qui répondait à la mienne.

La mouche riait toujours.

— Je le saurai, dit Fernand violemment ; je la reverrai, car cette fille m’appartient ; je l’ai payée du repos de ma vie, je vais encore la payer de la vie d’un homme. La malheureuse ! s’écria Fernand en ricanant tragiquement ; savez-vous que ce mot qu’elle a dit en tombant, c’est moi qui l’ai jeté dans son âme ? c’est moi qui, pour adieu, et lorsqu’un tigre aurait eu pitié de ses sanglots, lui ai crié en la quittant : « Tu es damnée ! »

Luizzi tressaillit. Il regarda Fernand comme pour s’assurer si ce n’était pas Satan lui-même qui avait pris ce masque et ces traits. La mouche riait en le piquant avec acharnement. Il sembla à Luizzi que M. Fernand jouait la comédie, et qu’il faisait d’un grossier désir de jeune homme un épisode romanesque de poëme satanique. Il voulut s’en assurer, et repartit d’un ton plein de conviction :

— Ah ! c’est épouvantable !

— Que voulez-vous ? reprit Fernand sans s’émouvoir. La pensée de lutter avec le Seigneur, l’orgueil d’insulter à son sanctuaire et de flétrir à sa face, et sans qu’on pût la défendre, sa plus belle et plus douce créature, tout ce délire m’a brûlé comme un feu de l’enfer, et j’ai rêvé que le Satan de Milton n’était pas impossible.