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dans ce temps-là une belle fille avec de grands yeux noirs, fendus en amande ; des lèvres rouges, épaisses comme des cerises ; des cheveux superbes ; une taille de reine avec tous ses accessoires, et qui portait avec elle un entrain d’amour, de joie et de bombance que je ne puis vous dire. Je n’ai jamais pu toucher du bout du doigt la peau brune et veloutée de cette femme sans en être frappé comme d’un coup d’électricité amoureuse.

« Au premier regard qu’elle jeta sur l’abbé, je vis qu’elle entrait très-parfaitement dans les intentions du tour que je lui voulais jouer. L’abbé était un beau garçon, cuivré comme un mulâtre, avec une épaisse forêt de cheveux, et qui, pour une fille comme Mariette, valait bien la peine de lui apprendre autre chose que le mystère de l’Eucharistie. D’abord je fus un peu vexé, et j’aurais aimé autant que ce fût une des autres qui se fût chargée de la leçon ; mais enfin, comme l’idée venait de moi, je ne pouvais pas demander à un de ces messieurs de se sacrifier à ma place. Seulement Mariette m’avait semblé accepter son emploi avec trop de facilité. Quoi qu’il en fût, la farce me paraissait trop bonne pour y renoncer, et nous commençâmes le feu. D’abord l’abbé avait très-chaud, attendu qu’il portait une chasuble où il y avait bien vingt livres d’or pesant ; nous lui offrîmes de se rafraîchir, et, sous prétexte d’un verre d’eau et de vin, je lui arrangeai une petite boisson amalgamée de vin de Roussillon, de blanquette de Limoux et d’eau-de-vie. Il y avait de quoi griser un mulet. Le pauvre prêtre avala le tout sans y faire trop attention ; mais, une minute après, je le vis devenir tout rouge de pâle qu’il était, et ses yeux me semblèrent papilloter légèrement.

« — Vous souffrez, monsieur l’abbé ? lui dis-je d’un air doux et patelin. — Oui, me répondit-il, ce vin m’a fait mal. — Ce n’est pas étonnant, répliquai-je aussitôt, vous êtes peut-être à jeun, et le vin fait toujours cet effet-là sur un estomac vide. Si vous vouliez me faire l’honneur de prendre quelque chose, vous verriez que cela se passerait tout de suite.

« Il eut la bêtise de me croire et daigna prendre place à notre table ; je n’en voulais pas davantage. Je le mis entre Mariette et moi. La table était très-étroite, de manière que, pendant que du côté gauche je lui versais un peu de vin de ma façon, Mariette lui faisait du côté droit des agaceries de la sienne. Il y a une chose que je ne puis pas vous dire,