Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/209

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et de Mariette, lorsqu’il en resta tout à fait persuadé en voyant accourir vers lui Ganguernet, qui lui dit :

— En voilà bien d’une autre ! le grand essieu de la diligence vient de se casser, et nous en avons pour dix ou douze heures avant que nous puissions repartir ; nous voilà enfermés pour tout ce temps dans une misérable auberge, où il y a tout au plus des œufs pour faire une omelette, de la piquette et de l’eau-de-vie de pomme de terre pour l’arroser.

— Quoi ! s’écria Luizzi avec impatience, il n’y a pas moyen de réparer plus tôt ce malheur ?

— Ma foi ! dit Ganguernet, il y en a un pour vous si vous avez de l’argent à perdre et de l’argent à dépenser, c’est-à-dire si vous voulez abandonner le prix de votre place à la diligence et prendre une berline de poste qui va à Paris et qui relaye là-haut.

— Avec plaisir, dit Luizzi, je la prends, et tout de suite, et à tout prix.

— Il paraît que le gousset est bien garni ? dit Ganguernet en frappant sur le ventre de Luizzi.

Cette observation rappela au baron qu’il n’avait point du tout pensé jusque-là à l’état pécuniaire où il se trouvait, et lui fit mettre la main dans sa poche : il en tira quelques poignées d’or. Il ne supposa donc point que ce fût pénurie d’argent, mais des circonstances qui lui restaient inconnues et que le Diable avait fait naître, qui l’avaient forcé à prendre la diligence.

Il imagina encore que cette berline de poste ne se trouvait si à propos sur sa route que parce que le Diable avait pris soin de l’y mettre ; et, bien décidé à se laisser guider par lui, il fit décharger ses effets, après avoir, au préalable, examiné sur la feuille du conducteur en quoi ils consistaient, car il l’ignorait absolument. Parmi ces effets se trouva un grand portefeuille enveloppé d’une chemise de cuir, que le baron ne savait pas posséder. Il se réserva de vérifier son contenu pendant qu’il serait seul dans la berline, et il se sépara de ses compagnons de voyage après avoir donné à Mariette son adresse à Paris. Une fois qu’il fut seul dans sa voiture, il s’empressa d’ouvrir le portefeuille, et s’aperçut qu’entre autres choses il renfermait des lettres à son adresse, dont il s’empressa de prendre connaissance, bien qu’elles fussent décachetées et qu’il parût qu’un autre ou bien lui-même les eût déjà lues. La première était signée du procureur du roi de l’arrondissement de… et était ainsi conçue :