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pouvait aller plus loin. En effet, du Bergh devenait plus pâle et plus faible de jour en jour, et, malgré tous ses efforts, il ne put cacher à Nathalie le véritable état de sa santé. La pauvre fille s’en désespéra sincèrement ; elle accusa le sort, elle inventa une foule de phrases très-ridicules contre le destin qui semblait s’acharner à la poursuivre en lui enlevant la seule espérance qui lui restât en ce monde. Du reste, reprit le Diable en prenant une prise de tabac, vous autres hommes, vous avez une foule de mots inouïs qui n’ont aucune espèce de sens, et dont vous usez avec une confiance admirable. Tel est le mot destin, par exemple. Eh bien ! moi, je déclare que, s’il existe dans l’univers quelqu’un qui puisse me dire ce que l’humanité entend par le destin, je m’engage à lui servir de domestique, n’en eût-il jamais eu ou l’eût-il été lui-même, deux chances immanquables d’être traité comme un nègre.

Le Diable devint pensif, et Luizzi, auquel ce récit n’avait pas jusque-là inspiré un grand intérêt, lui dit d’un air assez méprisant :

— Tu n’es pas en verve ce soir, maître Satan, et je ne sais quelle instruction je pourrai jamais tirer de la sotte histoire que tu me racontes.

Le Diable attacha sur Luizzi son plus cruel regard, puis reprit en ricanant :

— Crois-tu à la vertu de madame du Bergh ?

— Tu ne m’as rien dit, jusqu’à présent, qui puisse m’en faire douter.

— Crois-tu qu’une femme qui a si insolemment traité ce soir une autre femme puisse être empoisonneuse et adultère ?

— C’est impossible ! s’écria Luizzi, madame du Bergh empoisonneuse et adultère !

— Oh ! la chose ne s’est pas faite d’une façon ordinaire. C’est un secret entre elle et moi, et c’est pour cela que j’ai voulu te le raconter.

— Mais il n’y a donc rien de vrai dans ce monde ?

— Il y a de vrai la vérité.

— Et qui la sait, mon Dieu ?

— Moi, s’écria le Diable, et je vais te la dire. Écoute-moi bien, et ne perds pas une parole de mon récit.

Or, Nathalie se désespérait, du Bergh se mourait, et Firion se félicitait ; mais un nouveau caprice de Nathalie vint mettre le couteau sur la gorge de son père. Nathalie se trouva un sentiment tout fait dans une phrase de roman. Voici cette phrase de roman : « Oh ! si je ne puis être à lui, je veux du moins porter son nom ! Son nom, je ne l’entendrai jamais