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— Je n’ai jamais eu cette présomption, Madame.

— Et vous avez tort ; car vous êtes peut-être le seul homme pour lequel on eût bien voulu laisser une fois à la calomnie le droit de n’être que la vérité.

— Et sans doute j’ai fait évanouir maladroitement toute cette bonne volonté ?

— C’est ce que je ne puis vous dire ce soir, Monsieur, car j’aperçois mon père et il faut que j’aille le rejoindre.

— Ne le saurai-je jamais ? dit Luizzi.

— C’est aujourd’hui samedi ; lundi c’est le dernier bal de l’Opéra. Si vous voulez vous trouver ici à la même heure, peut-être aurai-je quelque chose de plus à vous apprendre, à moins que ce que j’ai à dire à mon père ne m’oblige à vous revoir plus tôt.

Madame de Farkley s’éloigna et laissa Luizzi fort embarrassé de ce qu’il venait d’entendre. Avant d’entrer chez lui, il fut l’objet des plaisanteries de tous les élégants dont il était connu. M. de Mareuilles, entre autres, lui dit d’un ton presque de mépris :

— Il paraît, mon cher Armand, que vous avez beaucoup de temps à perdre ?

— En quoi, s’il vous plaît ? répondit le baron.

— Deux bals masqués pour madame de Farkley, mon cher, car nous avons entendu votre rendez-vous pour lundi, c’est beaucoup trop en vérité, et vous me paraissez le plus grand niais de la terre si demain vous n’êtes pas chez elle à midi pour vous excuser de ne pas y être à présent.

Luizzi réfléchit un moment ; puis, voulant se tirer de la perplexité où l’avait mis la conversation étrange de cette femme, il regarda Mareuilles d’un air sérieux, et lui dit :

— Êtes-vous bien sûr, monsieur de Mareuilles, de ne pas faire de fatuité pour mon compte, dans ce moment ?

M. de Mareuilles se troubla vivement à ces mots de Luizzi ; mais le baron ne put savoir si c’était la honte d’être véridiquement accusé de mensonge, ou l’indignation d’en être faussement accusé, qui fit pâlir le fat. Tous les amis de Mareuilles crurent, à ce qu’il paraît, à ce dernier sentiment ; car ils éclatèrent tous de rire en disant à celui-ci :

— Ah ! très-bien ! très-bien ! ne va pas te fâcher, au moins ! Luizzi est superbe, parole d’honneur ! il croit à la vertu de notre belle Laura, il est capable de l’épouser en troisièmes noces ; car vous saurez, mon cher monsieur le baron de Luizzi, qu’elle est déjà veuve de deux maris.

De Mareuilles qui, dans le premier moment, avait paru prêt à répondre à Luizzi par une provocation, prit tout à