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les deux. Vous avez le droit d’être irritée de la grossièreté de mon absence, mais est-il des fautes qui ne puissent se racheter ? Une heure ou deux de mauvaises façons, ou plutôt de véritable délire, ne peuvent-elles être pardonnées en faveur d’un dévouement ou d’un amour que vous savez si bien inspirer ?

Madame de Farkley reprit sa place, et d’un ton encore très-sérieux elle répondit à Luizzi :

— Je serais curieuse de voir, Monsieur, comment vous expliquerez ces mauvaises façons ou ce délire, ainsi qu’il vous plaît de les appeler.

À ce moment une idée étrange vint à Luizzi : celle qu’il s’était promis de réaliser s’il retrouvait madame Dilois. Avoir eu madame de Farkley à dix heures quand elle s’était présentée chez lui, l’avoir eue comme tant d’autres à qui elle avait cédé ou auxquels elle s’était donnée, cela n’avait rien de bien attrayant ; mais avoir cette femme après lui avoir montré qu’il n’en voulait pas, l’amener à croire sérieusement à une passion sincère et presque folle après l’avoir insultée du dédain le plus complet, cela parut à Luizzi quelque chose de neuf, d’original et qui méritait la peine d’être tenté, surtout vis-à-vis d’une femme aussi habile que madame de Farkley. Dès ce moment, il la désira comme s’il l’avait aimée. Ces réflexions passèrent comme un éclair dans la tête du baron, et il reprit en se penchant doucement vers Laura :

— Non, Madame, non, il n’est pas si difficile de vous expliquer ces mauvaises façons et ce délire. Vous avez été assez franche avec moi pour que je puisse vous donner cette explication ; mais, si vous ne l’aviez pas été si complétement, j’avoue qu’il m’eût été impossible de me justifier.

— Je serai charmée de voir, reprit madame de Farkley, qu’une fois dans ma vie ma franchise m’aura servi à quelque chose ; car elle m’aura servi, Monsieur, si grâce à elle vous parvenez à me prouver que votre absence n’a pas été un outrage et que tout ce que vous m’avez dit depuis votre retour n’était pas une nouvelle insulte.

— Je ne me servirai pas de votre franchise pour en manquer avec vous. Oui, Madame, mon absence était un outrage et mes paroles une insulte.

— Et vous prétendez les excuser ? dit amèrement madame de Farkley.

— Je ne sais à quoi j’arriverai, dit Luizzi ; en tous cas, je vous dirai la vérité, puis vous me jugerez.

— Je vous écoute.

— Vous m’avez dit un mot bien grave, Madame, et je vous