roman à la mode. Cette nouvelle, ce conte ou ce roman commençait ainsi :
« Vous savez que je suis la fille naturelle de M. le marquis d’Andeli ; je ne l’ai su, moi, que le jour où le malheur m’avait déjà flétrie. Vous ignorez quelle est ma mère, et moi-même je ne sais que son nom. Ma mère était d’une grande famille du Languedoc : elle se maria fort jeune à un homme qui, forcé de suivre les armées, l’abandonna à elle-même. Elle avait une fille ; mais l’amour de cette enfant ne pouvait suffire à cette âme ardente. Elle rencontra le marquis d’Andeli. Le marquis d’Andeli l’aima ; elle aima le marquis d’Andeli. À cette époque il occupait une position administrative très-brillante dans la ville qu’habitait ma mère. Il perdit cette position et fut forcé de se séparer d’elle six mois avant ma naissance. Ma mère accoucha dans une cabane de paysan, où elle s’était cachée. La femme qui la servait m’emporta et me confia à une autre vieille femme qui m’éleva jusqu’à l’âge de quinze ans, sans rien me révéler de ma naissance. On disait qu’elle m’avait trouvée sur le seuil de sa porte et qu’elle m’avait recueillie par charité. Je le croyais, et je ne voyais rien qui pût me faire soupçonner que ce n’était pas la vérité. Ainsi j’avais déjà quinze ans lorsque la première fille de ma mère se maria. Il est inutile que je vous dise comment elle apprit mon existence ; mais un jour je vis arriver dans ma misérable maison une des plus belles et des plus riches personnes de notre ville. Dans un entretien où je n’appris malheureusement qu’une partie de la vérité, elle me dit que j’étais la fille d’une personne très-haut placée, qui était de sa famille et dont elle déplorait les erreurs sans pouvoir les condamner. Je ne savais alors ce que c’était qu’une mère et le respect qu’inspire ce nom. Je croyais que l’orgueil seul de son rang empêchait cette femme de me faire connaître la mienne. Jugez quel fut mon étonnement lorsqu’elle ajouta :
« Les égarements de votre mère n’ont pas cessé. Devenue veuve, elle a déshonoré son veuvage comme son union. Une autre enfant a été abandonnée par elle ; une autre enfant va vivre dans la misère ; une autre enfant va être livrée à un malheur qui ne trouvera peut-être pas une pitié pareille à celle qui vous a protégée ; il faut que vous vous chargiez de cette enfant. C’est votre sœur, donnez-lui la mère qui lui manque ; je vous fournirai à toutes deux la fortune que vous n’avez pas. »