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vêtue d’une robe de soie ; ses cheveux noirs descendaient en boucles le long de son visage, et elle tenait à la main un petit livre qu’elle lisait, tandis que cinq ou six garçons de magasin remuaient des ballots en s’excitant avec cette profusion de cris qui est la moitié de l’activité méridionale. C’était un tapage à ne pas s’entendre. Personne n’aperçut Armand : les garçons étaient tout entiers à leur ouvrage ; madame Dilois, car c’était elle, avait les yeux fixés sur son livre, et un jeune homme aux beaux cheveux blonds, qui était dans la cour, avait, de son côté, les yeux fixés sur elle. Luizzi demeura à l’entrée de la cour et se mit à observer cette scène. Madame Dilois releva la tête, et le jeune homme qui la considérait si attentivement poussa un cri singulier.

— Hééahouh !

Tous les ouvriers s’arrêtèrent ; il se fit un silence profond, et la voix douce et pure de la jeune femme se fit entendre.

— Les ballots en suin 107 et 108.

— Dans le magasin numéro 1, répondit la voix forte du jeune homme.

— Ce soir, au lavoir de l’île, dit doucement madame Dilois.

— Les soies 107 et 108 au lavoir de l’île ! cria le jeune homme d’un ton impérieux.

La jeune femme reprit la lecture de son livret ; le commis demeura les yeux fixés sur son beau visage, et les ouvriers se mirent à exécuter les ordres reçus en s’excitant encore par de nouveaux cris. Un moment après, madame Dilois releva les yeux.

— Hééahouh ! s’écria le commis.

Le silence se rétablit comme par enchantement. La voix pure de la gracieuse femme dit paisiblement :

— Cent cinquante kilos, laines courtes, à prendre dans le magasin 7 et à envoyer à la filature de la Roque.

Le commis répéta l’ordre avec sa voix vibrante et impérative. Puis, s’approchant de l’une des fenêtres grillées, il frappa du doigt à un carreau. Un petit vasistas s’ouvrit. Luizzi vit une jeune tête blonde et blanche ; le commis répéta d’une voix qu’il modéra timidement :

— Facture pour la Roque, de cent cinquante kilos.

— J’ai entendu ; vous criez assez fort, répondit une voix d’enfant.

Le vasistas se referma, et Luizzi, en relevant les yeux sur madame Dilois, vit qu’elle regardait attentivement à cette