Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

mac, et en même temps de renouveler le sinapise aux intérieurs des cuisses et sur la plante des pieds.

— En fait-il, le docteur, en fait-il des consommations de sangsues et de graine de moutarde ! dit le valet de chambre. Le baron fait bien d’avoir de la monnaie, le docteur Crostencoupe est homme à lui manger son héritage en mémoires d’apothicaire.

— La santé ne peut pas se payer trop cher, monsieur Pierre, c’est le premier des biens de la terre, reprit madame Humbert.

— C’est égal, j’aimerais mieux être malade toute ma vie que de payer trente sous une méchante sangsue.

— On voit bien que c’est M. Crostencoupe qui fait les mémoires. À ma dernière maladie d’homme seul, je ne les ai comptées que treize sous pièce. C’est vrai que le défunt n’était qu’un courtier marron qui n’avait fait que trois faillites.

— Il paraît qu’il y a eu du beurre ?

— Pas si gras, monsieur Pierre ! il n’y avait pas de quoi se relicher tant les babouines.

— Il me semble que le baron est plus tranquille. Est-ce que vous ne pourriez pas lui épargner les sangsues ?

— De quoi ! Je vous dis qu’il a le délire ; il a recommencé ses contes sur ces dames, vous savez ? D’ailleurs, ce qui est acheté est acheté. Je ne peux pas priver le pharmacien de sa vente.

— C’est pas la bourse du baron que je vous dis d’épargner, c’est sa peau. Il a le ventre et l’estomac grêlés comme une vieille écumoire. On dirait qu’il a eu une petite vérole de sangsues. Mettez-les sur le compte, mais ne les lui mettez pas sur le ventre.

— On va vous suivre votre ordonnance tout de suite, monsieur Pierre. Avec ça que M. Crostencoupe ne s’en apercevrait pas demain ! il chercherait les trous, il lui faut son compte de trous à cet homme. À propos de ça, prenez une centaine de sangsues au lieu de soixante-dix, parce qu’il y en a toujours quelques-unes qui ne mordent pas…

— Et que vous emportez chez vous, madame Humbert, pour les repasser aux pratiques ?

— Tiens ? est-ce que vous voulez que je les laisse se promener ici la canne à la main ?

— Dites donc, madame Humbert, une idée !

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Vous qui avez beaucoup pratiqué le malade, avez-vous jamais vu des sangsues se faire l’amour ?

— Voulez-vous vous taire, grosse bête ! dit madame Humbert en prudifiant sa voix. Allez me chercher ce que je vous demande, et envoyez-moi, avec, un petit verre de vin et un biscuit : je me sens l’estomac dans le dos et dans les talons.

— Voulez-vous du champagne ?

— Merci, je hais la mousse, ça m’acidule l’esto-