Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/310

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« — Mais, sera-t-il bourgeois ou gentilhomme ?
« — Bourgeois, Monsieur, vous l’êtes, je le croi.
« — Soit, pour bourgeois, Madame ; mais, en somme,
« Ce bel enfant, qui me l’a fait ? — C’est moi. »


Quand Béru entra dans le café, il fit comme tout le monde et alla droit au poêle : il lut l’épigramme d’un bout à l’autre, tout en caressant de la main le tuyau brûlant sur lequel était collée la feuille de papier. Rien ne parut sur son visage qui pût annoncer la moindre émotion. Il reprit son chapeau qu’il avait posé sur le marbre du poêle, sa canne qu’il avait appuyée contre une chaise, et gagna en chantonnant la table à laquelle il avait l’habitude de prendre place. Un des habitués, outré de cette cynique apathie, se mit à lui crier tout haut :

« — Eh ! monsieur Béru, n’avez-vous rien lu sur le poêle qui vous intéresse ?

« — Monsieur, je ne sais pas lire, répondit Béru avec un calme admirable.

« — En tout cas, vous savez entendre, reprit l’habitué ; et je vais vous dire ce qui s’y trouve écrit. »

Béru s’accouda comme pour mieux écouter, et l’habitué déclama, le plus pompeusement qu’il put, les huit méchants vers que je viens de te citer.

« — Ah ! c’est sur le poêle ? dit Béru en mesurant l’habitué d’un regard presque menaçant.

« — Oui, Monsieur, reprit l’habitué en se posant comme un homme qui s’attend à une querelle.

« — Eh bien ! dit Béru en achevant un verre de liqueur commencé, puisque ça y est, que ça y reste. »

— Il y a donc de ces maris ? dit Luizzi en interrompant le Diable.

— Il y en a, mon maître, et des plus huppés, crois-moi. Si j’étais député, je ferais insérer tout de suite dans les lois qui régissent l’avancement des fonctionnaires : « Un tiers des places sera accordé à l’ancienneté (c’est-à-dire à l’incapacité) ; un autre tiers à la faveur (c’est-à-dire à la corruption) ; et le dernier tiers aux femmes (c’est-à-dire aux cocus). »

— Tu ferais là un joli gouvernement !

— Vous n’en avez pas d’autre, monsieur le baron ; et c’est parce que ce qui n’est pas écrit dans les lois est dans les mœurs que tout marche si bien.

— Voyons, voyons, revenons à Béru.

Le Diable reprit :

Il n’y avait rien à faire contre un pareil courage ; aussi toutes les plaisanteries et toutes les épigrammes cessèrent-