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— Mais pour tous deux, je l’espère.

Elle s’arrêta un moment, et reprit avec un regard souriant :

— Si vous vous entendez peu aux affaires, Monsieur, je suis… honnête homme, j’y mettrai de la probité.

— Cela vous sera difficile, Madame, et assurément je perdrai quelque chose au marché.

— Et quoi donc ?

— Je n’ose vous le dire, si vous ne le devinez pas.

— Oh ! Monsieur, vous pouvez parler : dans le commerce on est habitué à de bien singulières conditions.

— Celle dont je veux parler, Madame, c’est vous qui l’imposez.

— Je ne vous en ai fait aucune encore.

— Et cependant, moi je l’ai acceptée, et cette condition est celle de se souvenir peut-être trop longtemps de vous comme de la femme la plus charmante qu’on ait rencontrée, d’une femme à laquelle on voudrait laisser de soi la pensée qu’elle vous a donnée d’elle.

Madame Dilois rougit avec une pudeur coquette, et répliqua d’un ton de gaieté émue :

— Je n’ai pas procuration de mon mari pour cela, Monsieur, et je ne fais point d’affaires pour mon compte.

— Vous y mettez de l’abnégation ou de la générosité, repartit Luizzi.

— Je ne suis pas seulement honnête homme, répliqua madame Dilois d’un ton assez sérieux pour couper court à cette conversation.

En même temps elle ouvrit un carton, y chercha une liasse, la défit, en tira un papier et le présenta à Luizzi avec un air qui semblait lui demander pardon du mouvement de sévérité auquel elle s’était laissée aller.

— Voici, lui dit-elle, le marché passé il y a six ans avec monsieur votre père ; à moins que vous n’ayez le projet d’améliorer la race de vos troupeaux ou bien d’en réduire la qualité, je crois que le chiffre de ce marché peut et doit être maintenu. Vous voyez bien qu’il est signé par monsieur votre père.

— Est-ce avec vous qu’il a traité ? répondit Luizzi, toujours galant ; c’est que, s’il en était ainsi, je ne m’y fierais pas.

— Rassurez-vous, Monsieur ! repartit madame Dilois en se