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rents de mon père qui étaient dans la misère. Il y avait là deux jeunes filles, je les ai prises près de moi, je m’en occupe, je les élève. »

Puis elle ajouta avec un soupir et une larme :

« — J’en ferai d’honnêtes femmes. Ainsi, vous voyez ! je vous verrai quelquefois, pas souvent, et nous causerons comme aujourd’hui. »

Olivia avait laissé ses mains dans celles du général, qu’elle pressait doucement en parlant ainsi. Victor, qui la regardait et l’écoutait avec avidité, l’attira doucement dans ses bras. Mais elle se dégagea avec vivacité, et lui dit :

« — Non, Victor, non ! que vous importe une femme de plus ? Ne jouez pas une amie contre un moment de triomphe. Je pourrais vous haïr, Victor ; je pourrais plus peut-être, je pourrais ne plus vous aimer… »

Et alors, le regardant avec amour, elle se pencha rapidement vers lui, lui donna un baiser sur le front, et lui dit avec une joie charmante :

« — Et je vous aime ! »

Puis elle ouvrit la porte de sa chambre et se réfugia vers ses jeunes élèves qui étudiaient le piano.

« — Adieu, dit-elle au général. Voici l’heure de notre leçon. Il n’y a plus ici qu’une mère de famille, qui reçoit ses vieux amis en famille. »

M. de Mère sortit. Je ne saurais mieux t’expliquer les sentiments qu’il éprouva qu’en rapportant ici la lettre qu’il écrivit en rentrant chez lui :

« Olivia, je vous remercie de m’aimer, et je vous remercie de ce que je vous aime. Vous ne pouvez savoir ce que j’ai de reconnaissance pour vous. Vous m’avez rendu ma vie, mon âme, mon avenir ; je suis fier, j’ai espérance en tout, foi en tout ; je suis redevenu jeune, je suis redevenu jaloux. Oui, jaloux ; car en sortant de chez vous j’ai vu s’arrêter à votre porte l’équipage d’un de ces brillants jeunes gens qui avaient place dans votre loge, à l’Opéra, où moi je suis entré comme un étranger. Olivia, ne me trompez pas, je vous le demande à genoux. Je savais qu’on recommence sa vie, sa fortune, sa gloire ; j’ignorais qu’on pût recommencer son cœur, et vous me l’avez appris. Mon cœur bat, ma tête brûle, je pleure et je ris. J’aime, j’aime. Oh ! ne me trompez pas, Olivia ; ne faites pas une dernière dérision de ce dernier bonheur. Je vous remercie, je vous remercie à genoux. Ai-