Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/346

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quer dans un abandon d’elle-même qu’elle savait mieux que personne suivi de tant de déceptions. Cela dura deux ans entiers.

— Deux ans ! s’écria Luizzi, deux ans ! Et au bout de ce temps sans doute… ?

— Au bout de ce temps, repartit Satan, M. de Mère fut tué. Olivia le pleura saintement, comme elle l’avait aimé saintement ; elle garda de lui les moindres souvenirs qu’elle put s’en procurer. Puis, au bout d’un an, s’étant donné par l’amour la nécessité d’une vie plus honorablement posée, elle épousa le seul homme dont elle fût assez maîtresse pour lui faire faire la plus grande des folies, elle épousa le financier Libert, qui acheta la terre de Marignon et qui devint M. de Marignon.

— Ah ! s’écria Luizzi, l’instinct de ma vengeance ne m’avait pas trompé ! Olivia, la courtisane, la prostituée, devait être cette insolente madame de Marignon, qui a chassé la malheureuse Laura ! et elle a fini par épouser ce misérable Libert, le parvenu gorgé d’or et de vols ! digne association du libertinage et de la rapine, qui a enfanté probablement l’impudente vanité et la soif de briller ! Ah ! madame de Marignon, vous méritez un gendre comme M. de Bridely, et vous l’aurez, je vous le jure !… Eh bien ! Satan, tu ne dis rien ?

— J’attends, pour achever l’histoire de madame de Marignon.

— N’est-elle pas achevée ?

— Pas encore. Après son mariage, elle profita de la fortune de son mari et de ses anciennes relations pour se faire ce monde dont tu as vu les restes. Elle le paya cher, elle devint l’esclave de ses moindres exigences. Vulnérable par tant de côtés, il lui fallut accepter servilement les plus cruelles humiliations. Mais elle les souffrit patiemment, car elle était mère, elle avait une fille, et le besoin de ne pas rougir devant elle lui fit accepter le voile de pruderie qu’on la força de jeter sur son passé.

— Et c’est pour l’honneur de son passé qu’elle a chassé madame de Farkley ?

— Oui, mon maître ; et ce qu’il y a d’admirable en ceci, c’est que le vice et le crime, poussés à leur plus honteuse dépravation, ont pris le malheur et la faiblesse à la gorge, pour la forcer à servir leurs infâmes proscriptions ; c’est que mesdames de Fantan et du Bergh ont obligé madame de Marignon à exclure Laura de son salon. Mais si tu avais vu, si tu avais su voir, tu aurais reconnu que cette femme avait adouci l’insulte autant qu’elle le pouvait, tu aurais vu que, seule de tout ce monde, elle s’est informée de la santé du misérable gisant sur son