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et annonça un monsieur, la voix criarde de madame Barnet répondit :

— Quel est ce monsieur ?

— Je ne sais pas son nom.

— Faites entrer.

Luizzi se présenta, et madame Barnet alla vers lui, le bras gauche enfilé dans le bas de coton blanc qu’elle reprisait.

— Qu’est-ce que vous voulez ? dit-elle en clignant des yeux : car madame Barnet avait la vue très-basse, et il est probable que, sans cela, la tournure distinguée de Luizzi aurait adouci le ton grossier dont ces paroles lui furent adressées.

— Madame, répondit Armand, je suis le baron de Luizzi, un des clients de M. Barnet, et j’aurais été charmé de le rencontrer.

— Monsieur le baron de Luizzi ! s’écria madame Barnet en déchaussant son bras gauche de son bas troué, et en plantant son aiguille sur sa poitrine avec une intrépidité qui eût fait deviner à Luizzi que le bouclier qui la protégeait devait avoir plus d’une triple mousseline et d’une triple ouate ; prenez donc un siége. Pas cette chaise, je vous prie, un fauteuil. Comment ! il n’y a pas un fauteuil dans ma chambre ? Pas de fauteuil dans la chambre d’une femme, c’est bien provincial, n’est-ce pas, monsieur le baron ? mais nous avons des fauteuils, je vous prie de le croire. Marianne, Marianne ! apportez un fauteuil du salon ; ôtez la housse.

Luizzi essayait d’interrompre tout ce remue-ménage en disant à madame Barnet qu’une chaise était plus qu’il ne fallait, car il allait se retirer. Mais la notairesse n’écoutait point les excuses de Luizzi ; elle se démenait, tout en jetant derrière les rideaux des croisées de vieilles culottes, des fichus crasseux épars à travers la chambre. Bientôt Marianne parut avec un fauteuil en bois peint et recouvert d’un vénérable velours d’Utrecht chauve de toute laine ; elle l’établit au coin d’une cheminée où il ne manquait que du feu, et madame Barnet s’écria de nouveau :

— Marianne, une bûche !

— Mon Dieu, Madame, vous prenez un soin inutile, je me retire ; j’avais fort peu de chose à dire à M. Barnet, et…

M. Barnet ne me pardonnerait jamais de vous avoir laissé partir, car j’espère que monsieur le baron voudra bien accepter la soupe.