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prit Furnichon, cela ne nous regarde pas, c’est son affaire.

Immédiatement après ils rentrèrent tous dans le salon où ils trouvèrent ces dames assemblées. Ernestine était rayonnante, et la mère Turniquel avait arboré un bonnet encore plus lardé de nœuds roses et bleus que celui du matin. En ce moment madame de Lémée lui faisait des compliments sur l’excellent goût de sa toilette, et la grande dame s’humiliait devant l’imperturbable sottise de la vieille femme. Quant à madame Peyrol, elle était seule dans un coin. On voyait qu’elle avait pleuré, et ce ne fut qu’avec peine qu’elle parvint à surmonter sa douleur pour répondre aux hommages empressés de ces Messieurs. Luizzi trouva la comédie si drôle qu’il voulut y ajouter : il alla se placer à côté de madame Turniquel, et commença un éloge de sa beauté et de sa parure, auquel la vieille femme répondit avec une foule de sourires édentés et de grâces enfantines à faire reculer un régiment de cuirassiers. La plaisanterie fut poussée si loin, que madame Peyrol en devint toute rouge. Elle s’approcha de M. Rigot et lui dit :

— Mon oncle, par grâce, faites cesser cette cruelle inconvenance ; si ce n’est pas pour moi, qui souffre tant de voir ma mère si ridicule, que ce soit pour ma fille qui n’est déjà que trop portée à manquer de respect à sa grand’mère. C’est une bien misérable méchanceté de la part d’un homme comme M. de Luizzi !

— Bah ! bah ! qui sait ? dit le vieux Rigot, on a vu des choses plus impossibles que ça.

Madame Peyrol haussa les épaules et s’approcha du baron, qui disait en ce moment à madame Turniquel :

— Oui, Madame, heureux l’homme qui, revenu des folles illusions de la jeunesse, saura préférer un cœur mûr et une âme éprouvée à toutes ces vaines séductions d’un âge plus tendre !

— Plaît-il ? dit madame Turniquel d’un ton très-supérieur, qu’appelez-vous illusion ? Je ne suis pas si décrépite, je vous prie de le croire ; j’ai un corps superbe et une jambe…

Elle allait montrer sa jambe, lorsque madame Peyrol l’interrompit et regarda Luizzi d’un air à le rendre honteux, puis elle lui dit tout bas :

— C’est de la barbarie, Monsieur !

Luizzi devint confus de ce qu’il avait fait, et suivit madame Peyrol pour s’excuser. Il y réussit assez bien, en avouant franchement comment il avait voulu donner une