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mais il résolut de couper court à cette nouvelle proposition, en répondant à Eugénie :

— Si monsieur votre oncle avait été plus franc avec vous, Madame, il vous eût épargné une démarche qui vous a sans doute été bien pénible et qui était inutile : j’ai déclaré à M. Rigot que je ne me mettais pas sur les rangs pour obtenir une faveur que je ne crois pas mériter.

À cette réponse, madame Peyrol devint pâle, et, saluant profondément le baron, elle se retira sans lui dire un mot. À peine Luizzi fut-il seul, qu’il ferma sa porte au verrou pour éviter de nouvelles visites ; et, plus décidé que jamais à consulter le Diable sur les secrets de cette maison, il tira sa sonnette et l’agita avec rapidité. Comme à l’ordinaire, le Diable parut aussitôt ; mais, contre son habitude, il n’avait ni l’air goguenard ni la malice cruelle qu’il semblait se donner à plaisir. Son regard avait repris toute sa sinistre splendeur, son sourire toute son amère fierté, et il aborda Luizzi avec une impatience visible. Sa voix était stridente et grave.

— Tu as l’air bien soucieux, maître Satan ! lui dit Luizzi.

— Que me veux-tu ?

— Ne le sais-tu pas ?

— À peu près ; mais enfin parle, que me veux-tu ?

— Tu es bien laconique, toi d’ordinaire si bavard !

— C’est que ce ne sont plus les intérêts d’un homme qui m’occupent, ce sont ceux d’un peuple.

— Que tu vas pousser aux révoltes et aux séditions ?

Le Diable se tut, et Luizzi reprit :

— Allons, puisque tu es si pressé, réponds : Quelle est l’histoire de ce Malais ?

— Il te l’a dite.

— C’est-à-dire que j’ai cru la deviner !

— Tu as montré de l’intelligence une fois en ta vie, c’est beaucoup.

— Tes airs impertinents deviennent de l’insolence.

— Je grandis avec les circonstances. Adieu !

— Un moment ! Ce n’est pas tout. J’ai compris l’histoire d’Akabila jusqu’au moment où Rigot fut sauvé par un vieillard. Après ?

— Ce vieillard, repartit le Diable, était le père d’Akabila. Il avait un immense trésor, amassé depuis cent ans dans sa famille. Je suppose que tu sais que l’île de Bornéo est riche en diamants et en pierreries. L’Européen civilisé arriva chez cette race de Malais que vous appelez exécrable parce qu’ils massacrent sans pitié les hommes qui viennent s’emparer de leurs terres ; la civilisation apporta ses crimes parmi les crimes de la barbarie.