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deux femmes que j’ai repoussées ? m’unir à cette famille où la bassesse des mœurs est égale à celle des manières ? Et qui sait encore si, en choisissant l’une de ces deux femmes, je ne prendrai pas précisément celle qui sera pauvre ? car, moi, j’ai eu l’imprudence de ne pas prendre part au contrat que ces hommes ont passé entre eux. Oh ! si je le pouvais encore ! Il n’y a que les fripons d’heureux.

Il sembla qu’un éclair passât devant les yeux de Luizzi à ce moment et qu’il lui montrât les pensées où il était descendu, comme durant un orage nocturne un éclair fait voir à un homme dans quel précipice fangeux il est tombé. Luizzi eut horreur de lui-même, et, revenu un instant à des idées plus saines et plus calmes :

— Non, dit-il, je ne ferai pas cette infamie ; d’ailleurs à quoi cela me servirait-il ? Le choix d’Ernestine est fixé, sa mère me l’a dit. Elle, je l’ai repoussée ; cependant il est peut-être encore temps.

Il s’arrêta encore devant cette idée ; il en était déjà moins épouvanté. Pourtant il voulut chercher une distraction à sa douleur dans sa douleur même ; et, pour cela, il reprit les lettres qu’il avait foulées aux pieds dans son accès de rage. Elles ne firent que lui confirmer sa ruine, et bientôt un abattement profond succéda au tumulte de ses premières émotions. Alors il mesura la vie qu’il avait devant lui, une vie de misère, de privations, et par-dessus tout une vie en butte à la raillerie et au mépris de tous ceux qu’il avait connus. La vanité, le plus détestable des conseillers après la misère, la vanité se fit entendre ; et Luizzi, courant au mal comme un furieux à la mort sans vouloir regarder devant lui, se décida à tenter la fortune par un mariage. Il ne prit pas le temps de faire la moindre réflexion, et rappela encore une fois Satan, qui lui apparut avec la même tristesse et le même calme.

— Esclave, dit Luizzi avec un courage pour accomplir sa mauvaise action qu’il ne s’était jamais trouvé pour faire le bien ; esclave, peux-tu une fois en ma vie me dire une vérité qui me soit utile ?

— Je t’en ai dit vingt que tu n’as pas voulu croire.

— Eh bien ! repartit Luizzi, dis-moi à laquelle de ces deux femmes appartiendra la dot que leur oncle doit donner à l’une d’elles ?

— Tu es donc décidé à faire ce que tu trouvais si méprisable ?

— Trêve de morale, Satan ! lui dit Luizzi avec emportement ; je n’ai pas la prétention d’être