Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion


EUGÉNIE.


XXXV

PAUVRE ENFANT.


Eugénie naquit le 17 février 1797, ou plutôt, le 20 février 1797, une enfant fut portée à la mairie du deuxième arrondissement, et inscrite sous le nom d’Eugénie Turniquel, fille de Jeanne Rigot, femme Turniquel, et de Jérôme Turniquel, son mari, ladite fille étant née le 17 du même mois.

— Pourquoi cette restriction ? La déclaration était-elle fausse ? demanda Luizzi en interrompant le Diable.

— Je ne t’ai pas dit cela.

— Cette enfant n’était-elle pas bien celle qu’on désignait sous ces noms ?

— Je ne t’ai pas dit cela non plus, je t’ai dit un fait ; et ce que je puis t’assurer, c’est que la femme que tu connais, madame Peyrol, dont je vais te raconter la vie, est celle qui fut présentée à la mairie du deuxième arrondissement, le 20 février 1797.

— Continue donc, repartit Luizzi ; car, au point où tu prends ton récit, j’ai bien peur qu’il ne dure jusqu’à demain au soir.

— Ne m’interromps donc plus, reprit le Diable, et il continua :

Tu n’as aucune idée de la vie du peuple, mon maître, et peu de personnes ont idée de la vie du peuple parisien à cette époque. Aujourd’hui c’est une chose rare, même parmi les pauvres, que d’habiter longtemps la même maison. On change volontiers d’appartements comme d’habits, et, de même que la provincialité est détruite en France, ainsi le voisinage a disparu de Paris. À l’époque dont je te parle, au contraire, chaque quartier avait une communauté d’existence qui faisait dire à ses habitants : « Je tiens à mon quartier, j’y suis né, j’y suis connu, j’y mourrai. » Cette confraternité, qui attachait les habitants d’une rue les uns aux autres, liait encore plus intimement entre eux les locataires d’une maison. Celle qu’habitaient les parents d’Eugénie était située rue Saint-Honoré, à l’endroit où l’on a ouvert depuis la rue qui mène au marché des Jacobins. C’était une immense mai-