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Mais cela finira. Je jetterai au feu toutes ces robes de mousseline et ces fichus brodés, et, quand on verra que tu n’es qu’une honnête et pauvre ouvrière, on te respectera. On ne méprise que ceux qui ont l’air de mépriser leur état ; et, si ce jeune homme ne t’avait pas méprisée, il ne t’aurait pas traitée ainsi. »

Crois-tu qu’il y ait beaucoup de cœurs assez puissants pour résister à une pareille interprétation de leurs malheurs ? crois-tu qu’il n’y a pas des heures où l’on voudrait avoir commis toutes les fautes qu’on vous reproche, pour ne pas en être réduit à maudire son innocence ou sa vertu, le pire des désespoirs ? Cette heure venait pour Eugénie. Elle sentit qu’elle en avait assez de ces injures grossières, assez de ces mauvais traitements, assez de sa résistance méconnue, assez de ses larmes cachées et de son supplice de tous les jours. Elle sentit qu’elle en était venue au point de réaliser le mot qu’elle avait dit à sa mère :

« — Prenez garde ! vous me pousserez au mal. »

Et, dans l’effroi de ce désespoir qui pouvait la livrer à une faute, elle préféra un crime. Voilà ce que j’appelle de l’orgueil, mon maître ! De peur de succomber faiblement à son malheur, elle voulut le briser avec elle. Eugénie, égarée, éperdue, courut vers la fenêtre et s’élança… Sa mère la retint par sa longue chevelure, dénouée dans les mouvements désespérés qui avaient précédé cette résolution ; elle la retint et la tira de toute sa force vers l’intérieur de la chambre sur le carreau, où elle demeura comme morte, une épaule démise et la tête sanglante.

Tu vois, mon maître, que ces petites grisettes dont vous parlez du bout des lèvres sont bien heureuses d’être aimées par vous, et que l’honneur que vous leur faites doit suffire à la joie de toute leur vie !

— Trêve de leçons ! dit Luizzi, tu les adresses à un homme qui du moins n’a pas de pareils torts à se reprocher.

— Je les adresse, repartit Satan, à l’homme qui tout à l’heure m’a dit pompeusement du haut de son titre de baron : « Raconte-moi toutes les infamies de cette femme. » Ah ! tu veux savoir des infamies, je vais t’en dire.

Quelques jours après, et lorsque Jeanne avait été forcée de quitter sa fille malade pour retourner à ses occupations, Arthur revint. C’était un soir. Il était en grande toilette et sans chapeau. Il entra rapidement. Eugénie poussa un cri