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fut sur ce carreau qu’elle ferma les yeux et se dit : « Il n’y a pas de Dieu ! » Elle m’appartenait.

— Elle t’appartenait ! s’écria Luizzi, elle t’appartenait parce que la force lui avait manqué, à la pauvre fille, parce qu’elle était la proie d’un monstre à qui tu avais soufflé ta rage ! Ah ! non, mons Satan, non, elle ne t’appartenait pas.

— Pauvre fou, reprit le Diable, qui me crois presque aussi méchant et aussi stupide que les hommes ! elle ne m’appartenait pas parce qu’un misérable l’avait possédée, mais parce que son orgueil avait une flétrissure à cacher, parce qu’elle était assez perdue pour avoir douté de Dieu. Écoute-moi bien, et ne me demande pas compte de ce que je vais te dire. Ce que je vais te dire est vrai ; tu l’expliqueras si tu le peux, si ton intelligence arrive à comprendre l’inflexibilité de ces caractères trempés dans l’orgueil. Eugénie était tombée, tombée innocente ; elle se releva coupable. Elle n’aimait pas cet homme, elle le haïssait, et quand cet homme lui dit qu’il reviendrait, elle lui dit :

« — Revenez, revenez, et je serai votre esclave, et je vous appartiendrai jusqu’à ce que vous soyez las de moi ; mais vous ne direz pas que vous m’avez perdue. Pour vous garder le secret de votre crime, j’en prendrai la complicité, si vous voulez m’en sauver la honte. »

— Ah ! ah ! ajouta Satan, tu vois bien qu’elle m’appartenait.

— Elle t’a échappé depuis ?

— Tu verras. Mais ce que tu peux déjà voir, mon maître, c’est que tous les vices mènent au même but. La faiblesse de Thérèse, la soif d’un amour désordonné l’avaient faite l’esclave de cet Arthur, et l’orgueil d’Eugénie, la soif de cette supériorité qui avait été le rêve de sa vie, la jetèrent un instant au rang de la rivale qu’elle méprisait. Qu’Arthur la menaçât de divulguer sa honte, et Eugénie trompait sa mère pour le recevoir ; qu’il la menaçât de dire qu’elle était sa maîtresse, et elle allait chez lui en secret, déguisée en homme. Thérèse n’en eût pas fait davantage. Cependant, de tous les regards éclairés dont Eugénie s’épouvantait, ceux de Thérèse l’eussent humiliée plus que tous les autres, et elle fit jurer à Arthur qu’il avait complétement et pour jamais abandonné cette fille. Il faut te dire aussi que ce n’était pas vainement que cet homme, si fort qu’il fût, avait lutté contre cette femme. Tout vainqueur qu’il était, il était sorti du combat avec de graves atteintes. Le triple bronze de sa vanité, de son égoïsme et de son liberti-