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complissement en quittant la maison de sa mère. Ce n’eût été alors qu’un malheur de plus, et un malheur immérité ; mais, à ce moment, c’était devenu une dégradation publique, un juste châtiment, du moins aux yeux des étrangers ; elle courba donc la tête sans répondre et sans que sa mère reconnût sa faute dans sa soumission. Cependant, le lendemain venu, au lieu de se rendre directement à l’atelier de madame Gilet, chez qui elle était rentrée, elle voulut aller prévenir Arthur de ne pas venir dans sa maison, où elle savait qu’elle serait espionnée. Elle gagna rapidement son hôtel, passa devant le concierge en lui jetant le nom de lady Ludney, mais, au lieu de s’arrêter au premier étage, elle monta jusqu’au petit appartement qu’Arthur occupait au second. Cet appartement se composait d’une petite antichambre, d’un salon et d’une chambre à coucher qui se suivaient en enfilade. Par un singulier hasard, Eugénie trouva ouverte la porte qui donnait sur l’escalier ; elle traversa rapidement l’antichambre et le salon, et arriva jusqu’à la porte de la chambre d’Arthur. Elle était fermée au verrou, et celui-ci, entendant l’effort qu’on faisait pour l’ouvrir, demanda :

« — Qui est là ?

« — C’est moi, c’est Eugénie, » répondit la pauvre fille toute tremblante : et presque aussitôt elle crut entendre dans la chambre une autre voix que celle d’Arthur.

Il était sept heures du matin, et Eugénie ne s’étonna pas quand Arthur lui répondit à travers la porte :

« — Attendez un moment, je me lève, je suis à vous. »

Elle s’assit dans un coin du salon, écoutant si le murmure qu’elle avait cru entendre se renouvellerait. Elle allait s’approcher de la porte, lorsqu’elle aperçut un bout de ruban rose passant sous les plis d’un rideau fermé. À cet aspect, comme si elle eût été frappée d’un coup terrible et soudain, elle se leva et marcha, pâle et tremblante, vers ce ruban. Elle hésita un moment à y toucher, comme si elle allait mettre la main sur un fer rouge ; enfin elle écarta le rideau, et reconnut le bonnet qu’elle avait prêté la veille à Thérèse ; elle regarda alors autour d’elle avec une indignation et une épouvante indicibles, et, sous le coussin d’un canapé, elle reconnut le beau fichu qu’elle avait prêté la veille à Thérèse. Elle continua sa recherche et elle trouva, jetés dans un coin, les beaux bas qu’elle avait prêtés la veille à Thérèse : tout cela souillé, tout cela jeté honteusement à travers la chambre, tout cela attestant le désordre du moment où cette fille s’é-