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Elle hésita, puis tendit son verre et le vida d’un trait. Elle laissa échapper une expression de dégoût. Luizzi crut deviner qu’elle venait de faire un effort pour chasser la pensée importune qui l’obsédait ; mais, après quelques mots de conversation plus suivie sur les projets de départ de Luizzi, elle retomba dans sa pesante tristesse. L’intérêt et la curiosité de Luizzi étaient vivement piqués. Il essaya du moyen qu’elle-même semblait avoir tenté pour chasser ses idées importunes.

— Me ferez-vous encore raison ? lui dit-il.

Des larmes vinrent aux yeux de la marquise ; elle lui dit :

— Non, Armand, non ; cela me fait mal, cela me brûle, cela me tue, et pourtant Dieu m’est témoin que je voudrais mourir.

Elle se leva et s’écria :

— Oh ! mourir, mon Dieu ! mourir vite !

Elle tomba sur le divan qui était dans la demi-alcôve en se cachant la tête dans les mains. Luizzi se plaça près d’elle et essaya de l’interroger, mais elle ne répondait que par des larmes et des sanglots. Luizzi avait été l’ami d’enfance de madame du Val ; il se mit doucement à genoux devant elle, et lui dit :

— Allons, Lucy, parlez-moi. Si vous avez des chagrins, confiez-les-moi. Lucy, vous savez tout ce qu’il y a pour vous dans mon cœur ; celui qui a osé vous aimer peut-il vous oublier, et ne doit-il pas être resté votre meilleur ami ?

Les larmes de madame du Val s’arrêtèrent convulsivement dans ses yeux, et, regardant Luizzi qui était resté à genoux, elle répondit comme si elle eût essayé d’être coquette :

— En vous voyant dans cette posture, ce n’est point là le titre qu’on vous donnerait.

— Qui oserait en espérer un autre ? dit Luizzi en souriant.

— Celui qui aime bien espère tout, répliqua la marquise d’une voix exaltée.

— En ce cas j’aurais trop de droits à espérer, dit Luizzi jouant avec ces banalités de galanterie auxquelles il n’attachait pas grand sens.

Quelle fut donc sa surprise lorsque la marquise lui répondit en levant les yeux au ciel :

— Oh ! si vous disiez vrai !

Tout le monde sait ce qu’il y a de danger à se trouver engagé malgré soi dans une voie où on ne peut reculer sans blesser quelqu’un pour qui on a de l’intérêt et surtout sans