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— Non, Lucy ; et en vérité, quand cela s’est trouvé, je n’ai pas osé leur en vouloir : il y en a de si malheureuses !

— Vous avez raison. Il y a des femmes qui portent dans le secret de leur vie des tortures qu’aucun homme ne peut imaginer, mais ce ne sont pas celles-là qui se consolent avec des amants.

— Oh ! vous le savez sans doute mieux que moi, dit Luizzi en souriant.

Cette parole bouleversa la marquise ; toute sa préoccupation, toute sa tristesse lui revinrent. Luizzi fut interdit, et, ne sachant comment reprendre la conversation, il se raccrocha à la première chose qui se présenta à lui.

— Vous êtes malade ? vous ne mangez ni ne buvez.

— Au contraire, reprit Lucy en se remettant à sourire.

Et, comme pour ne pas donner un démenti à ses paroles, elle but le verre de vin de Champagne que Luizzi lui avait versé. Les yeux de la marquise devinrent plus brillants, et sa voix trembla.

— Oui, reprit-elle avec un accent amer, un amant, cela occupe, cela agite la vie ; mais il faut l’aimer, cet amant.

— Quand on ne l’aime plus, on le congédie.

— Un jaloux ! un tyran qui vous menace du déshonneur à toute heure, à tout propos ; à qui la moindre visite est suspecte, et qui s’irrite même de la familiarité de nos paroles avec un ami ou un parent ! un lâche hypocrite, qui arme contre nous toute une famille pour faire exclure celui qui lui porte ombrage… oh ! c’est un supplice horrible… Mon Dieu ! il faut pourtant qu’une femme en finisse !…

Pendant qu’elle parlait ainsi, la marquise s’était exaltée. Luizzi, demeuré froid, remarqua que ses dents claquaient sous ses paroles ; il vit qu’elle se laissait gagner à une sorte de fièvre. L’homme est implacable ; Luizzi remplit négligemment son verre et celui de la marquise ; elle prit le sien, le porta à ses lèvres, puis le posa sur la table avec une espèce d’effroi.

— Vous êtes une enfant, Lucy ! reprit Armand en s’appuyant sur la table et en la regardant amoureusement. Un pareil homme, s’il se rencontre, est un misérable qu’une femme doit pouvoir faire taire en un instant.

— Et comment ?

— Si c’est un lâche, il n’y a pas grand mérite à celui qui prend la défense de cette femme ; si c’est un homme brave,