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de jeune homme, mais son cœur avait gardé toute son émotion en présence d’une femme. Il sentit donc que la coquetterie de madame Dilois prenait empire sur lui, il voulut le cacher pour en profiter, et il répondit :

— C’est peut-être moi, Madame, que la présence de ce jeune homme eût rendu plus sévère sur les conditions de notre marché.

— Et pourquoi cela, Monsieur ?

— Oh ! Madame, reprit Luizzi d’assez bonne grâce, j’eusse été sévère pour bien des raisons. La première, c’est que peut-être devant lui je n’aurais pas osé vous dire : Faites comme il vous plaira, je ne veux que votre volonté ; c’est qu’il m’aurait fallu rester marchand devant lui… et puis…

— Et puis ? dit madame Dilois.

— Et puis, quand la présence d’un homme est irritante, quand sa vue peut vous donner des idées qui vous blessent, sans qu’on ait le droit d’être blessé ; quand on lui envie ce qu’on payerait de tous les sacrifices, on n’est pas très-porté à être généreux, et il faut oublier cet homme pour être à l’aise avec ses propres sentiments.

Madame Dilois avait écouté avec une extrême attention : sans doute elle avait compris cette phrase entortillée, car elle fit semblant de ne pas la comprendre. Ceci est d’une tactique très-vulgaire, mais très-immanquable, tactique bonne pour les hommes et pour les femmes, et qui arrive toujours à faire dire beaucoup plus qu’on ne l’oserait. En conséquence, madame Dilois répondit :

— Vous avez raison, Monsieur. Charles a un accueil peu aimable ; c’est pour cela que nous ne l’avons pas employé dans nos relations avec nos clients. C’est cependant un garçon fort honnête et fort entendu.

— Ce n’est pas à titre de client, Madame, que M. Charles m’eût déplu.

Madame Dilois ne put s’empêcher de rire assez doucement, et, se tournant tout à fait vers Luizzi, elle lui dit comme si elle le défiait de lui répondre franchement :

— Et à quel titre vous déplaît-il ?

— Vous ne le devinez pas ?

— Vous voyez bien, monsieur le baron, que je ne veux rien deviner, repartit madame Dilois avec un rire si franc de coquetterie, qu’il devait être ou bien hardi ou bien innocent.