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pour que Luizzi se persuadât qu’il avait été un maladroit et que le remords qu’il avait eu était ridicule. Par un enchaînement assez naturel de pensées, il arriva de son aventure de madame Dilois à celle de Lucy, et se dit encore qu’il avait été joué cette fois par une hypocrisie impudente, comme il l’avait été par une agacerie éhontée. Il en était là de ses réflexions, lorsque l’on se mit à parler de la marquise, et le concert d’éloges qui lui fut prodigué, changeant encore le cours des idées de Luizzi, le plongea dans une anxiété insupportable. Il résolut de la faire cesser, et se retira avec la pensée d’éclaircir ce premier mystère, grâce à son infernal confident.

Luizzi comptait être seul, mais un homme l’attendait chez lui. Cet homme était M. Buré, un très-riche maître de forges des environs de Toulouse, celui dont Barnet avait parlé au baron. M. Buré était un homme âgé ; mais il portait en lui les signes d’une santé ferme et calme, maintenue par une vie sobre et occupée. L’affaire dont il entretint Luizzi, la manière dont il la présenta, donnèrent au baron une haute idée de la capacité de cet homme. Il écouta avec faveur la proposition que M. Buré lui fit de s’associer à une grande entreprise, et consentit de l’accompagner à sa forge pour la visiter. Luizzi n’était pas fâché d’ailleurs de ces quelques jours d’absence, afin de prendre parti avec lui-même et de sortir un moment de ce tourbillon de mystères qui l’enveloppait. Il commençait à comprendre, malgré lui, qu’il devait y avoir des causes très-extraordinaires à ce qui s’était passé. Il n’avait encore rencontré ni de tels caractères ni de telles aventures, et il voulut se donner le loisir d’y réfléchir.

Lorsque M. Buré et Luizzi se séparèrent, il était déjà assez tard pour que Luizzi n’eût plus le temps d’avoir l’explication qu’il voulait demander à son diabolique ami ; d’ailleurs il lui fallait partir presque sur-le-champ. Deux heures après, il roulait en chaise de poste, et, vers le milieu du jour, il entrait dans la forge de M. Buré. Sans lui laisser un moment de repos, et après un déjeuner pris à la hâte, M. Buré conduisit le baron dans son établissement et ne le ramena à sa maison d’habitation qu’à trois heures, au moment du dîner.

Toute la famille était assemblée. Luizzi regarda madame Buré : c’était une femme charmante, gracieuse, avenante et pleine d’une douce sérénité. Son père et sa mère, le père et la mère de M. Buré étaient là, et deux jeunes filles de quinze