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Et, sans attendre davantage, Luizzi s’éloigna et rentra dans son appartement. Une fois seul, il réfléchit longtemps sur ce qu’il avait à faire. La première fois qu’il avait consulté le Diable, le récit de celui-ci l’avait passablement amusé, mais il avait dérangé sa vie. Le calme charmant qu’il avait trouvé au sein de cette famille avait réjoui le cœur de Luizzi ; puis cette douce sensation d’un moment avait disparu, et, malgré lui, son séjour à la forge était devenu une espèce d’inquisition tacite qui l’avait obsédé.

Cependant l’affaire qu’on lui proposait était assez avantageuse pour qu’il ne la refusât point, et, tout considéré, il pensa qu’il traiterait avec d’autant plus de certitude qu’il saurait mieux avec qui il allait s’associer. Après de mûres réflexions, Luizzi, ayant donné cette raison plausible à la curiosité dont il était dévoré, fit retentir l’infernale sonnette ; mais le Diable ne vint pas. Luizzi attendit quelques minutes et recommença. Aussitôt la fenêtre s’ouvrit avec fracas, et un homme d’un aspect hideux se présenta. Il était couvert de haillons, non point de ces haillons du peuple qui dénotent la misère, mais de ces haillons de l’élégance qui sont toujours la livrée du vice. De longs cheveux gras encadraient un visage livide, où l’inflammation d’un sang vineux perçait sur les pommettes rougies ; cette chevelure huileuse avait déposé sur le collet d’un frac bleu à boutons de métal une couche de crasse luisante et solide. Cet homme portait un chapeau lustré par une brosse mouillée, qui était parvenue à dissimuler passablement l’absence des poils du feutre, mais qui n’en déguisait point les nombreuses cassures. Un col de velours noir râpé s’unissait à l’habit boutonné de manière à faire douter de l’absence de la chemise ; un pantalon, noir aussi, prodigieusement tiré sur une hanche et descendant sur l’autre, laissait voir qu’il n’était soutenu que par une seule bretelle, et les sous-pieds qu’il avait conservés servaient bien plus à maintenir dans ses pieds les souliers éculés du misérable qu’à tendre les plis du pantalon ; ce vêtement était tigré de taches profondes ; l’encre avait tenté vainement d’en noircir les coutures blanches, et l’aiguille n’avait pas fait rentrer ses bords défaufilés. Cet homme était armé d’un bâton, portant à son extrémité un nœud énorme, rendu encore plus lourd par la multitude de petits clous dont il était orné.

Luizzi recula à son aspect, et un sourire féroce et bas parut sur les traits de l’être qui était devant lui.