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s’échappait par une autre ouverture pratiquée dans le plafond. Un lit et un berceau existaient dans un coin de cette chambre ; elle était garnie de meubles en bon état, et toutes les précautions semblaient prises pour que le séjour en fût le moins cruel possible.

Luizzi regardait attentivement, et, malgré le peu de clarté répandue dans cette sombre retraite, il en voyait les détails les plus imperceptibles, comme s’ils eussent été illuminés d’une façon particulière ; il lui semblait que son œil, en se dirigeant vers un objet donné, y portait une lumière pénétrante et qui le dessinait nettement à ses yeux. C’était une vision surhumaine, car il voyait même à travers les objets qui auraient pu lui faire obstacle.

Étonné de ce qui lui arrivait, il voulut se retourner pour demander à Satan l’explication de ce douloureux tableau ; mais Satan avait disparu, et Luizzi, irrité de voir lui échapper celui qui s’était fait son esclave, allait ressaisir son talisman souverain, lorsqu’un long soupir, poussé par la jeune femme, ramena son attention dans l’intérieur de cette chambre. Elle s’était levée, avait déposé son enfant dans le berceau, et, après avoir longuement écouté l’horrible silence qui semblait comme un rempart impénétrable entre elle et le monde vivant, elle leva un pan de la tapisserie et en tira un livre ; elle vint ensuite s’asseoir auprès d’une table sur laquelle elle posa sa lampe, et ouvrit le volume ; elle appuya douloureusement son front sur sa main, se pencha vers le livre ouvert et sembla le lire avec attention.

Luizzi, grâce à cette puissance de vision surnaturelle qui lui montrait les moindres objets, put lire le titre de l’ouvrage ; mais il fut plus étonné de ce titre qu’il ne l’avait encore été jusque-là. Ce titre était Justine, l’ouvrage immonde du marquis de Sade, ce frénétique et abominable assemblage de tous les crimes et de toutes les saletés. Une pensée douloureuse vint à l’esprit de Luizzi. Cette jeune fille serait-elle un de ces êtres fatalement marqués pour l’infamie et le désordre ? N’était-elle ensevelie dans ce cachot que pour y enfermer avec elle les féroces lubricités d’une nature effrénée ? Avait-elle soustrait ce livre aux regards de ses gardiens pour s’en repaître en secret dans les délires de son imagination, après avoir fait craindre à sa famille de la voir réaliser les épouvantables fureurs versées dans cet ouvrage par une âme où le sang et la boue bouillonnaient comme la lave d’un volcan ? Tant de