Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/189

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Caroline arrange tout.

— Pour elle, oui, mais non pas pour Barnet, qui, à Vitré, a eu d’assez mauvais renseignements sur ton compte. Et cela, joint aux six mille francs…

— Hé mais ! dit Henri, n’a-t-elle pas pu rapporter cet argent à Paris ?

— Très-bien ! fit Juliette, et tu crois que, si Caroline avait eu six mille francs, le baron eût été obligé d’emprunter de l’argent à Barnet pour faire la route de Vitré à Paris ? C’est ça qui a surtout donné l’éveil à ce méchant gredin ; alors il s’est rappelé les premiers douze cents francs donnés à ma mère, et il a pensé que les six mille avaient bien pu passer par le même chemin.

— Mais qui t’a dit tout ça ?

— Eh bien ! c’est Gustave, qui était avec ce hibou de notaire, et qui, ne sachant rien de rien, lui a dit qu’il me connaissait, un jour que Barnet m’a nommée devant lui.

— Et qu’est-ce qu’il lui a dit ?

— Pas grand’chose, heureusement ! Il lui a dit qu’il m’avait connue figurante au théâtre de Marseille.

— Pas ailleurs au moins ? dit Henri.

— Eh non ! Gustave n’est jamais venu à Aix quand j’étais chez ma mère.

— Oh ! la gueuse !… s’écria Henri, comme si ce mot d’Aix lui rappelait d’ignobles souvenirs.

— Eh bien ! là… elle faisait son métier.

— Et elle t’en avait donné un joli !

— Pardine ! dit Juliette, il valait bien le tien ; et sans la révolution de juillet, où tu as trouvé moyen de tirer un coup de fusil à ce vieux Bequenel sous prétexte que c’était un espion, et de lui voler les fausses signatures que tu lui avais fait escompter, je voudrais bien savoir où tu serais. Ça ne t’en a pas moins valu une épaulette de lieutenant, grâce à la belle pétition que je t’ai faite, tandis que tant d’autres, qui se sont véritablement et bravement battus contre les Suisses et la garde royale, ont été laissés de côté ou envoyés à Alger comme simples soldats. Ne fais donc pas tant le renchéri sur ce que j’ai été avant que tu me connusses.

— Tu as bien continué un peu depuis…

— Et tu n’y as pas trouvé à redire, tant que ça a pu servir à te mettre du pain sous la dent, repartit Juliette avec une expression de dégoût ; mais aujourd’hui que tu as des rentes…

— Eh bien ! moi, aujourd’hui, je ne veux pas que le baron tourne autour de toi.

— Eh bien ! moi, je ne veux pas que ta femme soit ta femme.

— Mais enfin, comment veux-tu que je fasse ?

— Il n’y a qu’à ne rien faire : elle est innocente comme une enfant de deux jours, je t’en réponds.

— Oui, mais on peut la questionner ; son frère… Barnet…

— Tu crois ça ? dit Juliette d’un ton de raillerie méprisante, tu crois que Barnet va aller dire comme ça à Caroline : « Madame, faites-moi le plaisir de me dire si votre mari… » Laisse-moi donc tranquille. Tiens, vois-tu, mon cher, tu ne pourras jamais te faire aux façons des gens comme il faut.

— Toi, c’est tout le contraire ; tu prends des airs de princesse, des tons de prude…

— Ah ! s’écria Juliette