Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/212

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crié d’abord, mais elle a tenu bon ; il a exigé, elle a répondu en dévote exaltée ; il l’a traitée de folle, elle l’a traité d’infâme libertin. Ils se sont aigris, injuriés, fâchés ; ils se détestent, et, grâce à la façon dont j’ai poussé l’affaire, la femme va se confesser tous les matins, et le mari va coucher en ville tous les soirs.

— Ah çà, dit Luizzi, tu mens !

— Si tu en doutes, dit le Diable, je te ferai monter chez elle ; car nous voilà à la porte de cette madame d’Arnetai.

— Merci. Faut-il faire arrêter ?

— Inutile, dit le Diable.

— Ouvre donc la portière.

— Inutile, dit encore le Diable.

— Baisse les glaces.

— Inutile, répéta Satan.

En effet, il passa le petit bout de l’ongle de son petit doigt sur les quatre bords du verre, et la glace se détacha comme si elle eût été coupée par le meilleur diamant de vitrier, et tout aussitôt Satan s’échappa par cette ouverture improvisée. Au même instant, Luizzi se rappela que ce n’était point pour écouter l’histoire de madame d’Arnetai qu’il avait emmené le Diable en voiture, il le rattrapa par la jambe ; mais celui-ci ne lui laissa que son soulier dans la main. Luizzi allait se désoler quand le Diable qui s’était accroché à la portière, passa la tête par la glace brisée.

— Rends-moi mon soulier, dit-il au baron.

— Dis-moi l’histoire de madame de Cerny.

M. de Cerny a été un des plus beaux hommes de son temps, et l’un des plus libertins. Rends-moi mon soulier.

— L’histoire de madame de Cerny !

M. de Cerny, ayant fait un voyage à Aix, mena une si joyeuse vie qu’il faillit en mourir, grâce à une jolie fille, fraîche de visage comme une rose. Rends-moi mon soulier !

— L’histoire de madame de Cerny, ou point de soulier !

M. de Cerny, de retour après la longue maladie que lui avait inspirée la jeune fille, et corrigé de sa vie de débauche, rentra dans le monde et devint amoureux de mademoiselle Léonie d’Assimbret.

— Enfin nous y voilà ! Et mademoiselle d’Assimbret… ?

M. de Cerny l’entoura de soins si particuliers, qu’il finit par la compromettre.

— Et Léonie… ?

M. de Cerny fut sommé, par sa famille et celle de mademoiselle d’Assimbret, d’épouser mademoiselle Léonie.

— Mais elle… elle ? s’écria Luizzi avec impatience.

M. de Cerny s’y refusa de toutes ses forces.

— Tu te moques de moi !

M. de Cerny, touché cependant de l’immense fortune de mademoiselle d’Assimbret, finit par l’épouser.

— Très-bien ! Et depuis ce temps ?

— La première nuit de leurs noces…

— Satan, prends garde ! j’ai ma sonnette ! s’écria le baron.

— La première nuit de leurs noces, M. de Cerny s’approcha du lit de sa femme d’un air solennel…

— Elle l’avait trompé, peut-être ?

M. de Cerny lui tint un long discours, un discours d’une longueur démesurée, et, après mille circonlocutions, il lui dit toute la