Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/242

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jusqu’à présent, que, si tu as commis beaucoup de sottises, c’est parce que je ne t’ai pas suffisamment éclairé ; vois donc, réfléchis : n’as-tu plus rien à me demander ?

— Rien, quant à présent, dit Luizzi en s’éloignant pour rentrer dans la chambre où Léonie écrivait à son père.

— Baron, dit le diable en l’arrêtant, tu sais que mes avis ne te sont pas toujours venus par mes récits, que j’ai souvent jeté à côté de toi des personnages ou des événements qui parlaient en mon nom ; souviens-toi bien de tout ce que tu as vu depuis ta sortie de la prison, et demande-toi si, au moment où tu vas faire un acte de cette importance, rien dans tout cela ne mérite explication.

Luizzi réfléchit, mais, rapportant toutes les paroles du Diable à son aventure avec madame de Cerny, il ne trouva rien qui ne lui parût parfaitement clair. D’ailleurs la persistance du Diable à lui offrir ses confidences semblait au baron plus qu’intéressée, et il pensa que Satan voulait le détourner de la route qu’il prenait. D’un autre côté il était tout à madame de Cerny et avait hâte de savoir ce qu’elle avait écrit à son père. Le jour approchait, il était temps de fuir. Il rentra donc chez Léonie et la trouva assise devant la table où était sa lettre cachetée et achevée depuis longtemps.

— Léonie, lui dit-il, il est temps de quitter Paris ; donnez-moi cette lettre, je la ferai mettre à la poste. Ainsi on ne pourra surprendre et interroger ni un domestique de l’hôtel ni un commissionnaire étranger. Venez, Léonie.

La comtesse, qui avait le coude sur la table et le front dans les mains, leva lentement la tête. Une pâleur froide était répandue sur ce beau visage, la veille si brillant de santé. Cette mate blancheur n’était animée que par le rouge bleuâtre qui courait autour des yeux, et qui annonçait une fatigue interne sous laquelle l’ardeur d’une fièvre violente l’empêchait seule de succomber. L’œil brillait d’un transport inquiet sous ses paupières pesantes et alanguies ; ses cheveux tombaient en désordre autour de ce visage, la veille si coquettement orné de leurs belles boucles blondes. Il y avait dans toute cette femme l’abattement d’un corps habitué au repos d’une vie calme et la lassitude d’une âme qui vient de soutenir sa première lutte avec la douleur. La comtesse regarda Luizzi longuement, et lui dit :

— Armand, il en est temps encore, pensez à vous avant que nous ne quittions Paris… Songez que c’est ma vie que vous perdez, et que je vous crois trop d’honneur pour ne pas être sûr que c’est la vôtre que vous perdez aussi.

— Léonie, reprit Luizzi, pourquoi me demandez-vous de réfléchir à ce que je vais faire ? Est-ce donc que vous redoutez déjà votre avenir ?

— Aujourd’hui comme