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Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/274

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XXXII

SECOND RELAIS.

À cet endroit du récit de madame de Cerny, on était arrivé à un relais, et la diligence s’arrêta. La comtesse se tut, car il lui aurait été difficile de se faire entendre à travers le bruit de chaînes et le jurement des postillons qui attelaient les chevaux. Pendant ce temps, Luizzi regarda quels étaient les voyageurs qui occupaient l’intérieur, la rotonde et les cabriolets supérieurs de la voiture, et qui étaient descendus pour la plupart. Il s’aperçut, à sa grande satisfaction, qu’il n’y avait parmi eux aucune figure qui lui fût connue de près ou de loin, car il commençait à se défier de ses souvenirs en fait de visages, ne reconnaissant presque jamais les gens du premier regard. Au moment où il achevait cette inspection, la tête hors de la portière, il fut appelé par madame de Cerny qui lui dit en riant :

— Armand, je vous demande l’aumône.

Le baron se retourna et aperçut à la portière une charmante jeune fille de quatorze ans à peu près, souffrante, malade, étiolée et parlant d’une voix dolente. Il tira une pièce de cent sous de sa poche et la remit à la mendiante, qui la regarda d’abord avec un étonnement plein de joie, puis reprit aussitôt sa tristesse.

— C’est beaucoup, dit-elle ; je vous remercie, Madame.

Elle s’arrêta, puis ajouta en s’éloignant et à voix basse, comme si elle se parlait à elle-même :

— C’est beaucoup, et pourtant ce n’est pas assez !

— Qu’est-ce donc ? dit vivement la comtesse en rappelant la jeune fille, dont le charmant visage l’avait intéressée ; pourquoi n’est-ce pas assez, mon enfant ?

— Oh ! Madame, je ne demande pas davantage, c’est plus que je n’ai jamais reçu depuis que mon vieux père et moi vivons de la charité publique ; mais il faudrait que nous fussions arrivés à Orléans bien vite, et je me disais que ce n’était pas assez pour payer ma place et celle de mon père, là-haut, sur l’impériale.

— Armand… dit la comtesse en regardant le baron avec prière.

Luizzi appela le conducteur et lui dit :

— Laissez monter cette enfant et son père sur l’impériale ; je payerai ce qu’il faut.

— Merci, Madame ! merci ! s’écria joyeusement la mendiante, s’adressant toujours à la comtesse et comprenant