Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/330

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maudire, pour me souvenir du présent, où vous avez droit de me mépriser. Je me rappellerai que je vous ai trouvée pleurant et désolée, et que je ne vous ai pas offert mon aide et mon secours ; je vous demanderai pardon de cette indigne conduite en vous priant de les accepter.

— Je vous remercie, dit Alix, j’ai vécu ainsi depuis un an, je continuerai.

— Quoi ! reprit Lionel avec une véritable surprise, ce n’est pas la première fois que Gérard ose vous traiter ainsi ?

— Et ce ne sera pas la dernière, sans doute.

— Mais l’ivresse et la débauche lui ont donc fait perdre la raison ?

— Vous vous trompez, Lionel ; il avait sa raison quand il a agi ainsi.

— Et pourquoi donc vous a-t-il chassée ?

— Parce que je l’ai repoussé, parce qu’il sait que je ne l’aime pas. Il n’est pas injuste comme votre père envers vous ; car pourquoi vous chasse-t-il, lui ?

— Parce qu’il sait que je vous aime ! répondit Lionel se croisant les bras et se posant devant Alix comme pour lui dire : Voyez à quel point je suis faible et lâche !

— Oh ! s’écria Alix avec l’accent d’une joie qu’elle ne put contenir, vous m’aimez donc ?

— Oui ! je suis fou à ce point ! reprit Lionel, honteux de son aveu.

— Tu m’aimes encore, tu me l’as dit, Lionel, reprit Alix, qui tressaillait d’une émotion extraordinaire.

— Te l’ai-je dit ?…

— Oui, Lionel, tu m’aimes, et… »

Elle s’arrêta, jeta un regard furtif autour d’elle, et lui dit en s’approchant de lui :

« — Et je t’aime.

— Toi ?

— Tu le sais bien, Lionel. Tu sais bien, toi dont le cœur est plein d’orgueil, pourquoi j’ai épousé ton frère ; tu sais bien que tu m’as dit un jour que ton père n’accepterait pas pour bru la fille d’une femme perdue de réputation. Tu m’as insultée dans ma mère, Lionel, tu as été implacable pour elle.

— C’est que ta mère t’a donné son esprit frivole et son âme facile à la séduction.

— Oh ! tu ne parlerais pas ainsi si tu savais quel a été l’homme qui a séduit ma mère et à qui je dois le jour. Il te ressemblait, Lionel : il était ardent, implacable, beau et brave comme toi ; elle l’aimait comme je t’aime, elle se perdit pour lui comme je me perds pour toi.

— Eh ! qui était-il donc ? fit Lionel avec orgueil.

— Un noble Génois qui avait toutes les beautés, tous les charmes, toutes les richesses, toutes les séductions, même celle d’être fatal à toutes les femmes qu’il aimait.

— Et son nom ?

— Son nom… je puis te le dire maintenant, un nom étrange et inconnu ; on l’appelait le beau Zizuli, et il a disparu de France comme il y avait paru, laissant dans l’abandon ma mère, qui avait quitté pour lui son époux et sa famille.

— Tous ceux qui t’ont connue à Paris le savent.

— Mais aucun de mes plus mortels ennemis ne me l’a reproché, et toi, tu m’as jeté durement ce reproche à