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Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/339

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Ermessinde, plus furieux encore, la mordant aux naseaux, la serrant côte à côte, court, aussi rapide qu’elle, et les mains sanglantes de la mère adultère ne quittent pas le cou du fils incestueux. Alors, dans l’effort d’une rage furieuse, Lionel presse encore sa monture, il la déchire de ses éperons, la presse de ses cris, devance tous les coursiers qui la poursuivent, et s’arrache enfin à l’étreinte convulsive du fantôme ; mais il entend la voix d’Ermessinde qui lui crie :

« — Oh ! malédiction sur toi ! »

Le malheureux, dont la raison s’en va, s’arrête à ce cri pour retourner vers ce fantôme qui a la voix de sa mère et qui l’a maudit ; mais alors c’est Gérard et Alix qui tournent autour de lui sur des chevaux qui se dressent et se menacent de leurs sabots. Il repart, il se couche sur l’encolure de son coursier, il ferme les yeux. Alix l’atteint à son tour ; et, se penchant sur lui, s’attachant à lui, elle lui crie d’une voix où manque l’haleine, d’une voix basse et saccadée qui semble dire quelque chose que lui seul doit entendre :

« — Lionel, c’est moi… Lionel, c’est moi… c’est ton Alix que tu aimes ! »

Et, comme il se débat pour s’arracher à cette affreuse étreinte, elle ajoute avec désespoir et comme pour l’attendrir :

« — C’est moi, c’est ta sœur… » !

C’est pour Lionel l’inceste, le meurtre, l’adultère attachés à son flanc par l’enfer. Alors, éperdu, fasciné de terreur, il fuit, il fuit, il fuit ; mais les brûlants étalons le poursuivent, le poursuivent toujours ; la cavale épouvantée, ne sachant plus quel chemin tenir, tourne sans cesse autour de la colline où brûle le château, et Lionel voit au sommet de la grande tour la haute figure de Hugues qui tourne lentement en les suivant de l’œil comme un marbre sur un pivot. Une heure durant, cette horrible cavalcade alla ainsi courant autour de l’incendie parmi le vent qui hurlait, les éclairs qui fendaient d’un feu blanc les nuages rougis par le feu de l’incendie, parmi les éclats de la foudre qui se mêlaient aux immenses craquements de l’édifice qui s’écroulait et aux farouches hennissements des chevaux. La lutte fut toujours également pressée, furieuse et épouvantable, jusqu’à ce que Lionel, poussant d’horribles imprécations, appelât à son aide toutes les puissances de ce monde ; et, comme rien ne vint à son aide, il appela à lui les puissances de l’enfer, et elles répondirent. Ce fut alors que, dans le délire de ses terreurs, il se donna à Satan lui et toute sa postérité, jusqu’à ce qu’il s’y trouvât un être assez vertueux pour rompre le pacte infernal.