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Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/352

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je me suis chargé de je ne sais combien de petits colifichets pour elle.

— Je puis passer la journée à faire ces copies.

— Non, il faudrait excuser votre absence près de M. Séjan. Faites mieux, venez demain à l’Étang, vous passerez la journée avec nous. Je vous mènerai au bal le soir. Les danseurs sont toujours les bienvenus. »

À cette proposition, Léopold était devenu tout rouge, il baissait les yeux avec embarras et semblait hésiter. Le visage de Mathieu Durand se contracta légèrement, et il demanda à Léopold d’un ton un peu sec :

« — Ne pouvez-vous pas me faire ce plaisir, Monsieur ?

— C’est qu’une pareille invitation me confond, lorsque je sais que c’est la récompense la plus flatteuse pour ceux de vos employés à qui vous daignez l’accorder. Ma mère sera si heureuse, si fière !… »

Les traits de Mathieu Durand s’épanouirent, et il répondit d’un ton de bienveillance charmante :

« — Eh bien ! si vous trouvez qu’on ne s’ennuie pas trop à l’Étang, vous la prierez un jour de vous accompagner.

— Ah ! Monsieur, reprit Léopold les larmes aux yeux et suffoqué par sa reconnaissance.

— C’est bien, mon ami ! » lui dit Mathieu Durand en lui tendant la main.

Léopold était si ravi, il avait le cœur tellement plein, qu’il saisit la main du banquier et la baisa comme celle d’un roi qui vient d’accorder une grâce importante à l’un de ses sujets. Durand le regarda sortir, et l’expression d’un vif contentement de lui-même contenu jusque-là dans son cœur éclata sur son visage ; il releva la tête avec fierté et laissa échapper comme une sourde exclamation de triomphe ; il fit ensuite deux ou trois fois le tour de son cabinet, comme pour donner à cette émotion le temps de s’exhaler librement. Puis, lorsqu’il fut tout à fait maître de lui, il reprit sa place auprès de son bureau et sonna de nouveau. Le valet de chambre reparut.

— Ah ! ma foi, il me paraît que vous connaissez bien cet excellent M. Mathieu Durand, dit le poëte. Voilà ce que j’appelle un homme de cœur ! Je ne lui connais qu’un défaut.

— Et lequel ? fit le Diable.

— Ai-je l’honneur de parler à un de ses amis ?

— Je suis le comte de Cerny, fit le Diable, et je ne vous raconte que ce que j’ai appris par un hasard très-étrange. Vous pouvez tout dire devant moi.

— Eh bien ! au milieu de toutes ses bonnes qualités et avec son génie financier, M. Mathieu Durand a un défaut qui le fait descendre au rang des plus minces marchands de bonnets de coton.

— Et ce défaut ? dit Satan.

— Il est classique, mais classique en diable. Et puis, c’est son M. Séjan qui est plaisant lorsqu’il lui tombe un volume nouveau sous la main ! La première chose qu’il