Aller au contenu

Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il y a plus de reconnaissance parmi les pauvres que dans le monde.

— J’en suis persuadé, dit M. Daneau.

— Tenez, voilà un écrit qui m’a paru d’abord ridicule et qui a fini par me toucher, parce que je suis sûr du bon sentiment qui l’a inspiré.

— Qu’est-ce donc ? dit M. Daneau, si obligeamment amené à entrer dans les confidences du banquier.

— Un pauvre brave homme, répondit celui-ci, que j’ai tiré d’un mauvais pas et qui s’est imaginé de me témoigner sa reconnaissance en sollicitant pour moi les voix des électeurs de son arrondissement.

— Mais c’est une idée qui me semble bien naturelle ; et l’a-t-il mise déjà à exécution ?

— Non, heureusement ; il m’a fait soumettre le projet de lettre qu’il comptait écrire, et le voici.

— Vous ne l’approuvez pas ?

— Voyez vous-même si je le puis, » dit Mathieu Durand en donnant le papier à Daneau.

Celui-ci le lut attentivement, pendant que le banquier suivait, avec une anxiété mal déguisée, l’effet que cet écrit produisait sur l’entrepreneur.

Enfin Daneau reprit :

« — Mais cette lettre ne dit rien qui ne soit l’exacte vérité. En vous présentant comme le plus habile banquier de France et le plus probe à la fois, en énumérant tous les services que vous avez rendus au commerce et à l’industrie, il ne fait que dire ce que tout le monde sait.

— J’ai peut-être fait quelque bien, mais de là à ce qu’on dit il y a loin.

— Ma foi ! dit M. Daneau avec un bon mouvement d’honnête homme, si j’avais eu à faire une pareille lettre, j’en aurais dit bien davantage.

— Il y en a bien assez comme cela, fit le banquier en souriant.

— Pardon, monsieur Durand, reprit l’entrepreneur ; mais permettez-moi de vous demander si votre intention est de vous mettre sur les rangs ?

— De m’y mettre ! dit Durand, non, certes.

— Mais enfin, accepteriez-vous la candidature qui vous serait offerte ?…

— Ceci est grave… C’est une charge bien pesante que la députation, surtout pour un homme comme moi. Songez que, si j’étais à la chambre, je m’y croirais le représentant du peuple, des industriels, des commerçants, et que la tâche serait rude de prétendre faire prévaloir leurs droits que le pouvoir s’obstine à méconnaître.

— Ces droits ne pourraient avoir un plus noble représentant et un meilleur défenseur.

— Je les soutiendrais de cœur et de conviction, je vous le jure ; car j’en suis, moi, de ce peuple, et je ressens vivement l’injure incessante qu’on lui fait.

— Eh bien donc, Monsieur, dit Daneau, permettez-moi de m’unir à l’électeur qui a fait cette lettre…

— Non ! non ! dit le banquier ; si je laissais faire une chose pareille, je ne voudrais pas que son nom parût. C’est un brave homme qui a été plus imprudent que malintentionné, mais qui n’a pas dans le