Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/435

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où je me trouvais, me fit oublier les deux femmes qui m’observaient continuellement, et je rentrai dans ma misérable chambre après avoir perdu l’espoir d’apprendre ce que vous étiez devenu.

« À peine étais-je rentrée chez moi, qu’à travers les barreaux de ma fenêtre je vis l’une de ces deux femmes, celle que j’avais cru reconnaître, interroger vivement la surveillante que je venais de quitter. Au milieu du profond désespoir dont j’étais poursuivie, cette curiosité excita la mienne, mais pas assez pour que je désirasse la satisfaire sur-le-champ ; d’ailleurs j’avais à pensera vous, Armand, à notre rencontre si fortuite, à notre amour si inouï, à notre bonheur si court, à notre malheur si vite arrivé. Vous reverrai-je encore, Armand ? L’espèce de fatalité dont vous semblez poursuivi ne s’étend-elle pas sur tout ce qui vous approche ? je le crains, et pourtant je puis dire que je ne m’en épouvante pas ; je ne sais quelle voix secrète me dit que je vous aime comme vous deviez être aimé, et qu’uni à moi vous auriez été heureux. C’est beaucoup de vanité, n’est-ce pas, Armand ? Mais je sens que je vous appartiens si bien, moi qui n’ai été qu’un moment à vous ; poursuivie, emprisonnée comme une femme perdue, je me sens tellement prête à donner encore pour vous ma vie, ma réputation et ma liberté, que je ne puis m’empêcher de croire que cette destinée qui s’est si rapidement et si fortement enchaînée à la vôtre avait été créée pour lui servir de sœur, de compagne et de soutien. Le vieil aveugle a bien rencontré sur le bord du chemin la jeune mendiante pour le conduire ; n’ai-je pas aussi été mise sur votre route pour vous tendre la main, et n’est-ce pas un malheur que je vous aie rencontré si tard ? Pardonnez-moi, Armand, de vous parler toujours de moi ; mais il faut que vous sachiez que je ne me suis pas donnée à vous comme je me serais donnée à tout autre qui aurait été à votre place. Je puis vous le dire, maintenant : le premier mot que vous avez prononcé devant moi est tombé dans ma vie, si calme et si résignée, comme une pierre dans une eau unie et limpide. Ce mot indifférent m’a troublée, quelque chose m’a parlé dans le cœur, qui m’a dit : Prends garde ! Pourquoi cela ? je ne vous connaissais pas. J’ai rencontré bien des hommes qui ont plus de nom, plus de beauté, plus de renommée que vous, mais tous m’ont laissé cette tranquillité inaltérable de mon esprit et de mon âme, dont je m’étais fait un bonheur ; vous seul m’avez émue, sans m’avoir pour ainsi dire parlé ; je me suis révoltée contre cet effroi, et vous devez vous rappeler, Armand, avec quels éloges exaltés j’ai parlé d’un homme que je dois croire maintenant un misérable. Je voulais vous punir de m’avoir fait douter de mon