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Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/489

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gestes, vos paroles, votre souffle.

— Et vous étiez à mes côtés toutes deux, dit Caroline, et vous m’avez soutenue dans cette rude entreprise, et Dieu m’a tendu la main pour me mener jusqu’au but et le sauver.

— Moi ! s’écria Luizzi, à qui revint le souvenir du choix qu’il avait à faire ; moi ! il n’est plus temps, je suis perdu !

— Non ! mon frère, repartit Caroline : et s’il est vrai, comme je l’ai entendu dire quelquefois, que notre famille soit vouée au malheur et au crime ; s’il est vrai, comme me l’a dit Léonie, qu’une fatalité épouvantable te poursuit.

— Oui ! c’est vrai, dit Luizzi, et elle m’a partout accablé ; j’ai voulu m’appuyer sur toutes les choses de ce monde, et elles se sont toutes brisées dans mes mains, pourries et corrompues qu’elles étaient par le vice ; j’ai voulu savoir la vérité, et la vérité n’a été pour moi qu’un tableau hideux et repoussant ; j’ai tendu la main à tous ceux que j’ai rencontrés, et la main des heureux a déchiré la main que je leur tendais, et la main que je leur tendais a semblé écraser tous les malheureux que j’ai voulu secourir. Ma sœur, ma sœur, je suis maudit !

— Armand, reprit Caroline, n’as-tu donc jamais tourné tes mains vers Dieu ?

— Vers Dieu ? dit le baron.

Et comme ses genoux se ployaient, comme ses mains s’unissaient pour prier, une horloge sonna, et une voix retentissante s’écria :

— L’heure de ton choix est passée, baron, suis-moi !

Tout aussitôt, et comme si les feux d’un volcan l’eussent dévoré en moins d’une seconde, le château de Ronquerolles disparut, et il ne resta à sa place qu’un précipice profond que les paysans appellent le trou de l’enfer. On dit aussi qu’à ce moment on vit s’élever du bord de ce gouffre trois blanches figures : elles montèrent vers le ciel, et l’une d’elles, s’avançant jusqu’au pied du trône de Dieu, pria pour celles qui étaient restées en arrière ; et, quand le Seigneur eut montré qu’elles pouvaient entrer, la vierge pure, la jeune fille coupable et la femme adultère se mirent toutes trois à genoux et prièrent pour l’âme du baron FRANÇOIS-ARMAND DE LUIZZI.