Page:Soumet - La Divine Épopée, 1841.djvu/185

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Je ne vois qu’au travers de mes lueurs humaines ;
Ma moisson n’a d’épis qu’au champ des phénomènes.
Et je ne puis savoir si pour moi, vain mortel,
Au fond de l’apparence habite le réel.
La matière, l’esprit, l’homme, l’astre, Dieu, l’ange,
La forme, les couleurs, les sons… trompeur mélange !
Mystère qui voudrait l’œil acéré du lynx :
On touche, on voit l’énigme… on ne voit pas le sphinx !
Tout garrotté des nœuds de l’éternel problème,
Je me heurte partout aux bornes de moi-même.
Tel qu’un lion captif de sa chaîne irrité,
Sous mes voiles de plomb je rugis tourmenté ;
Et, d’effort en effort, ma colère s’embrase
Pour soulever d’un bond l’infini qui m’écrase.
Mais Dieu ne daigne pas répondre au cri jaloux,
Il a plus de mépris que je n’ai de courroux.

D’autres fois, demandant un prodige à l’étude,
De ce globe si beau dans sa décrépitude,
Je voulais ranimer les germes défaillants,
Et redonner la vie aux glaces de ses flancs :
Dût par mille tourments cette flamme achetée,
Reclouer la victime au roc de Prométhée ;
Dussent vingt Jupiters, me brisant à mon tour,
Acquitter ce bienfait sous le bec du vautour !
Je voulais leur ravir une si riche proie,
Des astres rajeunis recommencer la joie,
Et sur cet univers verser la vie à flots,
Comme lorsqu’il sortit des langes du chaos.
Il me semblait qu’alors, d’une autre destinée,
Notre âme, sous mes mains, fleurirait couronnée,
Et que le cœur de l’homme, à ce nouveau réveil,