Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/18

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seulement on crut découvrir en elle la source de toutes les langues européennes, sauf deux ou trois ; mais on essaya fort arbitrairement d’y rattacher les langues sémitiques et jusqu’aux dialectes des hordes grossières de l’Afrique, de l’Amérique ou de l’Océanie. Entre les mains de certains philologues, le sanscrit devint comme une autre pierre philosophale : il semblait avoir tout produit, et il servit à tout expliquer. Du langage, considéré en lui-même, l’admiration se porta sur les œuvres où il avait été employé : le fond parut aussi éclatant que la forme. On se plut à chercher parmi les Aryas le modèle de tous les arts, la généalogie de toutes les fables. Tout avait été inventé, disait-on, entre le Brahmapoutra et les monts Ghattes : l’utile et l’agréable, les choses légères comme les choses sérieuses, le jeu d’échecs autrefois attribué à Palamède aussi bien que le syllogisme si cher à Aristote. Ce fut un véritable engouement : des amateurs trop ardents des lettres indiennes ne craignirent pas de les mettre à côté ou même au-dessus des chefs-d’œuvre de la Grèce et de Rome ; la raison et le goût protestèrent, mais en vain.

Il est vrai de dire que cette évolution avait été progressive et ne s’était effectuée qu’avec une certaine lenteur. L’apparition des premiers spécimens de la langue et de la littérature de l’Inde, introduits dans notre Occident par William Jones et ses laborieux auxiliaires, avait coïncidé avec, une situation politique trop grave pour qu’on eût pu leur consacrer une application suffisante. Les orages de la révolution française, les batailles du premier Empire, les déchirements intérieurs de l’Europe ne permettaient guère à la pensée d’errer librement sur les bords de l’Hindou-Khouch et de la Yamouna, de remonter en arrière jusqu’aux Kschattryas et aux Brâhmanes. En ramenant la paix, la Restauration (nul ne le conteste) favorisa notablement le réveil des intelligences : lettres, sciences et arts, tout reprit l’essor. Ce fut une transformation singulière, où, sous prétexte de préparer un meilleur avenir en rompant absolument avec le passé, on s’em-