Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/80

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les noms, variés à l’infini, ne nous sont pas épargnés, et celle que le même Garouda engagea contre les dieux, afin de leur disputer à son tour l’ambroisie. Puis on revient, par plus d’un détour, à la légende d’Aslika. Un jour que le roi Parikchila, âgé de soixante ans, chassait les gazelles dans les bois, ayant perdu la trace d’une de ces bêtes, il s’adresse à un mouni, nommé Samîka, et lui demande où elle avait passé ; l’autre, qui avait fait vœu de silence, ne lui répond rien. Le prince, irrité (car il ne se doutait pas du vœu que l’anachorète avait juré d’accomplir), ramasse, du bout de son arc, un serpent mort et le jette autour du cou et sur les épaules de Samîka. Le fils de celui-ci, Sringui, ermite comme son père, mais violent et vindicatif, voue le monarque à une malédiction terrible, afin qu’il soit tué par Takchaka, un des souverains des serpents. Mais son père, dès qu’il peut rompre le silence, désapprouve sa colère en ces termes, pleins d’une résignation et d’une humilité presque chrétiennes :

Je ne suis pas content de ce que tu as fait ; ce n’est point là la conduite de ceux qui se livrent aux mortifications. Nous habitations dans le royaume de ce monarque, et nous y sommes convenablement protégés. On doit pardonner à ce roi qui, en toute occasion, obéit à nos lois. Il faut, ô mon fils, savoir supporter un affront. N’en doute pas, la justice nous tue en périssant. Si le roi cessait de nous favoriser, notre peine serait extrême ; nous ne pourrions plus pratiquer paisiblement nos devoirs… Dans un pays sans monarque, il se commet toujours des fautes graves ; le monde, perpétuellement soulevé, ainsi qu’une mer en furie, s’apaise sous le sceptre de celui qui gouverne et qui châtie. Du châtiment naît la crainte, de la crainte la tranquillité ; alors, plus d’entraves à la pratique des devoirs, plus d’obstacle à l’accomplissement des œuvres qui regardent les dieux lusqu’à ce que tu aies dompté ce penchant à la colère, tu ne seras pas réellement vertueux, car la colère détruit la justice : la colère est pour les ascètes une source abondante de malheurs, et ceux qui violent la justice suivent une mauvaise voie. Au contraire, la patience fait prospérer les ascètes qui savent souffrir un outrage ; le monde actueI et le monde à venir appartiennent aux hommes patients.