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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/108

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HISTOIRE DU PARNASSE

dans une ligne, dans un mot, une seule parcelle de son opinion[1] ». Pour sa part, Bouilhet étudie les problèmes de versification. Artiste scrupuleux, il se montre intraitable dans l’application de ses théories : « Nous avons, écrit-il à Louise Colet, une poétique si féroce qu’elle pourrait bien en devenir étroite[2] ». Ces lettres à la poétesse, dont il est le conseiller littéraire, sont de véritables leçons de maître à élève ; il lui reproche durement sa facilité méridionale[3]. Penser à loisir, écrire lentement, telle est sa méthode, qu’il veut enseigner à l’improvisatrice : « pour moi, c’est évident comme l’arithmétique, écrit-il le 11 mars 1853 ; il suffit d’une tournure lente, d’une rime molle, d’un vers mal porté, pour donner même aux plus belles choses, un air incomplet et grêle. Les Grecs étaient intraitables sur ces détails-là[4] ». Notons ce mot d’un humaniste qui a appris le latin et le grec à fond, en les enseignant, et qui rêve la perfection antique. On ne la peut réaliser que dans des pièces courtes : « Bouilhet, dit Maupassant dans son étude sur le roman, à force de me répéter que cent vers, peut-être moins, suffisent à la réputation d’un artiste s’ils sont irréprochables et s’ils contiennent l’essence du talent et de l’originalité d’un homme, même de second ordre, me fit comprendre que le travail continuel et la connaissance complète du métier peuvent, un jour de lucidité, de puissance et d’entraînement, par la rencontre d’un sujet concordant bien avec toutes les tendances de notre esprit, amener cette éclosion de l’œuvre courte, unique, et aussi parfaite que nous la pouvons produire[5] ». Toute la doctrine des deux amis se résume dans la boutade favorite de Flaubert : « il n’y a de vrai dans ce monde qu’une phrase bien faite[6] ».

Il y en a, et beaucoup, dans la première des œuvres parnassiennes, de Bouilhet, Festons et Astragales. Le titre est bizarre, mais le recueil est exquis. C’est une suite de petits chefs-d’œuvre qui supportent toutes les comparaisons. Ainsi, dans Émaux et Camées, Th. Gautier avait réussi son Premier sourire de printemps. La perfection du vers dans ce poème était décourageante, malgré quelques petites erreurs d’histoire naturelle : Mars sème les perce-neige qui viennent

  1. Œuvres de Flaubert, VII, 11.
  2. Revue de Paris, Ier novembre 1908, p. 24.
  3. Ibid., 15 novembre, p. 290-291, 299-302.
  4. Ibid., p. 293.
  5. Maynial, La vie et l’œuvre de Maupassant, p. 44-45.
  6. Descharmes et Dumesnil, La Revue (des Revues), 15 mai 1912, p. 183.