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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/117

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AVANT LE PARNASSE

Les bouts de cigare sont payés ! Le Parnasse devrait ouvrir ses rangs pour accueillir celui qui ne respecte aucune des célébrités passées, qui bafoue Béranger, et termine une longue raillerie envoyée à Flaubert par ce bref résumé : « Béranger est une vieille croûte[1] ! » Ainsi, d’une part, Bouilhet avait tous les préjugés de l’École, et de l’autre, au moment où elle allait publier son recueil manifeste, il était à son apogée. Le 25 octobre 1866, l’Odéon avait représenté sa Conjuration d’Amboise avec un immense succès : cent cinq représentations, riert qu’à Paris, sans compter l’enthousiasme de la province[2]. Comment les Parnassiens ont-ils pu le laisser à la porte, comme un simple Lamartine ? Pourtant Kronos, Les Neiges d’Antan, La Chanson des Rames, eussent constitué un magnifique envoi, de tout premier ordre, digne de la cimaise. Y a-t-il là une éviction jalouse ? Peut-être. Des deux directeurs du Parnasse, Xavier de Ricard est incapable d’une basse manœuvre. Mais Catulle Mendès ? Son ancien collaborateur à la Revue Fantaisiste[3] était devenu d’une grandeur gênante ; ce fut bien probablement Mendès qui ferma devant Bouilhet une porte qui s’ouvrait toute grande devant Winter, Renaud, Lefébure, Forni, Coran, Luzarche, Piédagnel, Fertiault, Martin, etc. Dans le même Rapport où il vantait sa perfection artistique, Mendès glissait cette diminution sournoise, cette perfidie qui ramenait l’auteur des Fossiles aux modestes proportions d’un demi-raté : « il tenta d’être grand, sembla l’être, le fut presque ! À notre admiration doit se mêler la respectueuse condoléance qu’il ne l’ait pas plus divinement justifiée[4] ». Peut-être a-t-on voulu faire payer à Louis Bouilhet son indépendance. Il avait publié dans La Revue fantaisiste du 15 avril 1861, une pièce intitulée Soldat libre :


Soldat libre au léger bagage
J’ai mis ma pipe à mon chapeau,
Car la milice où je m’engage
N’a ni cocarde ni drapeau.

La caserne ne me plaît guère,
Les uniformes me vont peu ;
En partisan je fais la guerre,
Et je campe sous le ciel bleu !


  1. P. p. Letellier, Bouilhet, p. 184.
  2. Id., ibid., p. 296.
  3. Ibrovac, J.-M. de Heredia, p. 76.
  4. Rapport, p. 108.