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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/132

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HISTOIRE DU PARNASSE

emprunts à d’autres traités, par exemple à celui de Tennint[1] ; or, le livre de Tennint est une étude du vers romantique, contresignée par V. Hugo. Comment le Petit Traité, plaisant aux romantiques, puis agréant aux symbolistes, pourrait-il contenir la doctrine parnassienne ? Th. de Banville y a développé ses idées personnelles, qui semblent souvent de pures plaisanteries. Justement ces galéjades et leurs contre-coups déplaisent au Parnasse ; Theuriet le constate, sans acrimonie : « il s’est laissé aller à sa belle humeur naturelle ; …il faut lire son Traité, parce qu’il est d’une fantaisie très spirituelle, mais il faut n’en adopter les doctrines qu’avec une sage circonspection. L’absolue intransigeance des théories de Banville sur la rime a certainement déterminé cette réaction qui nous a valu l’école de l’assonance et du vers libre[2] ». Et pourtant, Th. de Banville aurait pu, s’il avait été sérieux, écrire l’œuvre qui nous manque encore, puisqu’il connaissait à merveille le vers de Hugo, et l’alexandrin classique. Qui a jamais eu, comme lui, l’intelligence de la versification de Racine ? « la langue des vers, telle que Racine l’a comprise, et telle que nous la comprenons après lui, est un chant ; elle ne saurait donc être coupée par des hoquets et des sanglots réels, puisque ces éclats de la douleur ou de la violence sont exprimés dans les vers par des mots qui en sont la transformation poétique[3] ». Malheureusement, avant d’écrire son livre, Banville l’a longtemps causé : les improvisations du poète sont brillantes, mais désordonnées, et courent après le paradoxe ; si l’interlocuteur ne le croit pas aveuglément, Banville redouble, s’exaspère, va de plus en plus fort, jusqu’à proclamer la supériorité absolue de la forme en poésie : « Tout pour la rime ! À bas le sens[4] ! » Qui peut dire exactement quand il est sérieux, quand il fait de l’ironie, quand il se moque effrontément d’un confrère qu’il n’aime pas, comme ce pauvre Manuel qu’il s’amuse à décontenancer par des affirmations inattendues : — Je suis l’ennemi de l’enjambement ! etc. — À d’autres moments c’est le lecteur qui s’effare : devant une inversion de Béranger, Banville se fâche : — Brigand, scélérat, vampire, vandale, mouchard ! On aurait dû le fusiller[5] ! — Faut-il considérer

  1. Id., p. 422, sqq.
  2. Theuriet, Souvenirs, p. 245 ; cf. R. de Souza, Mercure de France, Ier juillet 1923, p. 220-221.
  3. Critiques, p. 270.
  4. Lorédan Larchey, L’Impeccable Banville, dans le Bulletin du Bibliophile, 1901, p. 516.
  5. Charpentier, Th. de Banville, p. 97.